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LYON 14 e Biennale Divers lieux / 20 septembre 2017 - 7 janvier 2018 De haut en bas /from top: Susanna Fritscher. «Hélices soniques». 2017. Céleste Boursier Mougenot. «Clinamen V3». 2017. (Court, des artistes; Ph. Biaise Adilon) Elle l'a elle-même souligné, Emma Lavigne a d'abord semblé perplexe devant le sujet déterminé parThierry Raspail, directeur de la Biennale de Lyon, consistant à placer son expo- sition sous le signe du mot «mo- derne». Elle en tire pourtant une remarquable biennale, Mondes flot- tants, inspirée par l'idée que la mo- dernité a aussi produit des formes ouvertes, en littérature avec Mal- larmé, en musique avec Satie, en art avec Duchamp. Le parcours est libre, sans chemin imposé, mais bien structuré. La liste d'artistes est resserrée, et plusieurs d'entre eux montrent un ensemble d'ceu- vres qui résonnent les unes avec les autres ici et là. Les expositions sont concentrées à la Sucrière et au Mac. Ces deux lieux de part et d'autre de la ville, sont reliés de façon très élégante par un dôme de Buckminster Fuller installé place Antonin Poncet. La forme de cette construction uto- pique trouve des échos chez Julien Discrit notamment, qui montre son nouveau film à l'entrée de la Su- crière. Elle abrite la pièce de Celeste Boursier-Mougenot, Clinamen v3, souvent vue et ici magnifiquement exposée, comme un manifeste de la biennale. Au musée, c'est Dominique Biais et sa Melancolia qui ouvre la voie, sui- vie par Marcel Duchamp, dont le Grand Verre est lui-même immédia- tement commenté, presque parodié parYuko Mohri. L'architecture très contraignante du lieu, trois étages de salles relativement étroites, semble presque en contradiction avec l'idée de circulation à dans la bien- nale. Mais Emma Lavigne s'en est accommodée, en créant de grandes surfaces, et en jouant de différentes hauteurs. Une installation d'Ernesto Neto invite à grimper sur un marche- pied pour regarder au-dessus d'un faux plafond de nylon blanc et aper- cevoir... un tableau de Hans Arp flot- ter sur le mur en apesanteur. La Ftaln Forest de David Tudor offre aussi le sentiment d'échapper à l'espace du musée, série d'instruments étranges suspendus au plafond, comme une raquette-bombone, une latte de bois augmentée d'un haut-parleur... De très belles associations sont ména- gées sur certains murs : la succes- sion du Livre du vent de Laurie Anderson, et la Pluie de Marcel Broodthaers, le long des mots de Jan Mancuska qui flottent dans l'es- pace, suspendus à un fil. Un peu plus loin, le film de Shimabuku, Lets Make Cows Fly, voisine avec le film Ghost Before Breakfast de Hans Richter, montré comme un souvenir sur un petit écran parce qu'il l'a ins- piré, et des peintures-partitions de Jorinde Voigt, inspirées par les mou- vements de la terre et des astres. Juste après se trouve le magnifique Easter Morning de Bruce Conner (restauré pour l'occasion). Au der- nier étage, après un dialogue réussi entre Heinz Mack et Cerith Wyn Evans, c'est une étrange installation d'Icaro Zorbar qui attire l'attention, un paysage mélancolique et noc- turne, suivi par les lunes de Dominique Biais qui clôt le parcours après l'avoir ouvert. ¬ la Sucrière, tous les murs ont été démontés pour faire place à une cho- régraphie de pièces qui frayent les unes avec les autres, un peu comme les bols de Céleste Boursier- Mougenot. Avec quelques paillettes jetées sur le sol, et un fil sur lequel court une étincelle laissant derrière elle une odeur de EUOp Elisabeth Clark circonscrit le vaste espace du rez-de-chaussée. Latmosphère est assurément à la contemplation. Une Tous droits de reproduction réservés PAYS : France PAGE(S) : 22-23 SURFACE : 170 % PERIODICITE : Mensuel DIFFUSION : 32800 1 novembre 2017 - N°449 Page 17

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  • LYON

    14e

    Biennale

    Divers lieux / 20 septembre 2017 - 7 janvier 2018

    De haut en bas /from top:

    Susanna Fritscher. «Hélicessoniques». 2017.

    Céleste Boursier Mougenot.

    «Clinamen V3». 2017.(Court, des artistes; Ph. Biaise Adilon)

    Elle l'a elle-même souligné, EmmaLavigne a d'abord semblé perplexedevant le sujet déterminé parThierryRaspail, directeur de la Biennale deLyon, consistant à placer son expo-sition sous le signe du mot «mo-derne». Elle en tire pourtant uneremarquable biennale, Mondes flot-tants, inspirée par l'idée que la mo-dernité a aussi produit des formesouvertes, en littérature avec Mal-larmé, en musique avec Satie, enart avec Duchamp. Le parcours estlibre, sans chemin imposé, maisbien structuré. La liste d'artistesest resserrée, et plusieurs d'entreeux montrent un ensemble d'ceu-vres qui résonnent les unes avecles autres ici et là.Les expositions sont concentréesà la Sucrière et au Mac. Ces deuxlieux de part et d'autre de la ville,sont reliés de façon très élégante

    par un dôme de Buckminster Fullerinstallé place Antonin Poncet. Laforme de cette construction uto-pique trouve des échos chez JulienDiscrit notamment, qui montre sonnouveau film à l'entrée de la Su-

    crière. Elle abrite la pièce de CelesteBoursier-Mougenot, Clinamen v3,souvent vue et ici magnifiquementexposée, comme un manifeste dela biennale.

    Au musée, c'est Dominique Biais etsa Melancolia qui ouvre la voie, sui-vie par Marcel Duchamp, dont leGrand Verre est lui-même immédia-tement commenté, presque parodiéparYuko Mohri. L'architecture trèscontraignante du lieu, trois étages desalles relativement étroites, semblepresque en contradiction avec l'idéede circulation à dans la bien-nale. Mais Emma Lavigne s'en estaccommodée, en créant de grandessurfaces, et en jouant de différenteshauteurs. Une installation d'ErnestoNeto invite à grimper sur un marche-pied pour regarder au-dessus d'unfaux plafond de nylon blanc et aper-cevoir... un tableau de Hans Arp flot-ter sur le mur en apesanteur. La FtalnForest de David Tudor offre aussi lesentiment d'échapper à l'espace dumusée, série d'instruments étrangessuspendus au plafond, comme uneraquette-bombone, une latte de boisaugmentée d'un haut-parleur... Detrès belles associations sont ména-gées sur certains murs : la succes-

    sion du Livre du vent de LaurieAnderson, et la Pluie de MarcelBroodthaers, le long des mots deJan Mancuska qui flottent dans l'es-pace, suspendus à un fil. Un peuplus loin, le film de Shimabuku, LetsMake Cows Fly, voisine avec le filmGhost Before Breakfast de HansRichter, montré comme un souvenirsur un petit écran parce qu'il l'a ins-piré, et des peintures-partitions deJorinde Voigt, inspirées par les mou-

    vements de la terre et des astres.Juste après se trouve le magnifiqueEaster Morning de Bruce Conner(restauré pour l'occasion). Au der-nier étage, après un dialogue réussientre Heinz Mack et Cerith WynEvans, c'est une étrange installationd'Icaro Zorbar qui attire l'attention,un paysage mélancolique et noc-

    turne, suivi par les lunes deDominique Biais qui clôt le parcours

    après l'avoir ouvert.

    la Sucrière, tous les murs ont étédémontés pour faire place à une cho-régraphie de pièces qui frayent lesunes avec les autres, un peu commeles bols de Céleste Boursier-Mougenot. Avec quelques paillettesjetées sur le sol, et un fil sur lequelcourt une étincelle laissant derrièreelle une odeur de EU Op ElisabethClark circonscrit le vaste espace durez-de-chaussée. Latmosphère est

    assurément à la contemplation. Une

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  • certaine douceur règne, à l'image

    des mouvements lents des Floats deRobert Breer. Cependant, entre lechampignon atomique explosant à lafin du film Crossroads (1976) deBruce Conner, et les flots de mousseblanche de David Medalla, CloudCanyons (1963-2016), souvenirs de laglace au coco faite par sa mère maisaussi du bombardement de Manilleà la fin de la Seconde Guerre mon-

    diale, l'impression de légèreté secharge de drame. Le centre de lahalle est occupé par la grande voilede Hans Haacke, Wide White Flow(1967), surface houleuse de soie

    blanche. Au fond, Damian Ortegamontre une surprenante installationsuspendue au plafond : la maquetteen plastique d'un sous-marin quisemble chavirer, et dont un flot desel tombe comme d'un sablier ; il seréfère au poème de TS Eliot, TheHollow Men.

    Le plus beau moment de la biennalese situe dans la succession des troissilos au bout de la Sucrière, TomasSaraceno et son H yperweb of the

    Present, une toile tissée par une arai-gnée sous un projecteur qui l'éclairédans le noir, une Sonic Fountain deDoug Aitken dans laquelle desgouttes d'eau tombent du plafonddans une eau laiteuse, et surtout lamagnifique installation de SuzanneFritscher, Flugel, Klingen, faite d'im-menses hélices tournant comme unlustre fou, et créant des sons qui sedessinent avec le vent.Le deuxième étage est consacréaux corps: corps suspendus etcontraints de Dario Vilalba ; corps enmouvement de Ola Maciejewska,inspirés par Maya Deren ; corpsabsents de la Cave de PhilippeQuesne, qui a imaginé une scènede théâtre désertée et animée d'unerespiration à la fois protectrice etinquiétante. Quelques fantômessemblent s'en être échappés et êtreentrés dans le film d'ApichatpongWeerasethakul non loin de là, sur unécran transparent, feu d'artifice aubord de la disparition.

    Une succession de scènes occupe ledernier étage, qui n'a pas la cohé-rence des autres espaces : unegrande installation en quatre écransde Melik Ohanian qui montre une viemarginale et mystérieuse sur destoits new-yorkais; un labyrintheconstruit par Berger et Berger, ponc-tuée de quelques sculptures, danslequel on entend une voix lire unenouvelle d'Alain Robbe-Grillet; unesorte d'autel-tribunal-scène deconcert d'Anawana Haloba ; des say-

    nètes hétéroclites et poétiques, ins-

    pirées par la pensée d'EdouardGlissant, que Julien Creuzet a imagi-nées comme des ricochets sur lamer. C'est enfin à Shimabuku qu'ilrevient de conclure ce parcours surune touche d'ironie poétique etpince-sans-rire: il montre un concertsur trois écrans, par les musiciensbrésiliens Kassin et Arto Lindsay;c'est un drôle de concert pour une

    fuite d'eau qui faisait le bruit d'unesamba.

    Anaël Pigeat

    Curator Emma Lavigne herselfadmitted that she was at first per-plexed by the décision made byThierry Raspail, director of the

    Lyon Biennale, w h o announcedthat the event's keyword wouldbe \modernity.\ Yet it led her tomount a remarkable biennial, LesMondes flottants, inspired by theidea that modernity's fruits inclu-ded open-ended forms in litera-ture with Mallarmé, in music withSatie and in art with Duchamp.In each case the journey has no

    imposed route but is neverthelesshighly structured.The list of artistsfeatured here istherefore constrai-ned, with many of t h em repre-sented by an ensemble of their

    work, and there is often a réso-nance between them, even whenpresented in différent venues.The two concentration points arethe Sucrière and the Lyon contem-porary art muséum (Mac).Thesetwo sites at opposite ends of townare elegantly connected by theBuckminster Fuller dome set upon Place A n to n i n Poncet. The

    shape of this utopian structure isechoed elsewhere in the biennial,notably in the work of Julien Dis-ent, whose latest film is screenedat the entrance to the Sucrière.Inside the dome is Celeste Bour-sier-Mougenot's Clinamen V4. Al-though often seen, here this pieceis magnificently presented as amanifesto for the biennial.The show at the Mac begins with

    Do m i n i q ue Blais's Melancolia,f o l lo w ed by Marcel Duchamp'sLarge Glass and then a commen-tary, almost a parody of it, byYuko Mohri.The venue's tight di-

    mensions, with three relativelynarrow display r o om s , almostseem in contradiction w i t h thebiennial's open format, which al-lows visitors to circulate freelyamong the artworks. But Lavigne

    has subtly played around wi t h

    this approach w i t h her use oflarge surfaces and différent levels.An installation by Ernesto Netoinvites us to step up on a runningboard to look out over a false cei-ling m a de of w hi t e nylon andsee... a painting by Hans Arp floa-t i ng on the w al l as if it w e r eweightless. David Tudor's RainForest, a sériés of strange musical

    i n s t r u m e nt s hanging f r om theceiling, such as a tennis racquetattached to a large bottle, alsoallows visitors to feel as if theyare escaping the confines of the

    m u s é u m . S o m e walls presentpieces nicely brought into asso-FLDWLRQ The Book ofthe Wind byLaurie Anderson, Marcel Brood-thaers's Rain and the line of wordsby Jan Mancuska hanging froma wire floating in space. Not faraway, the Shimabuku film Let'sMake Cows Fly is shown next toits i ns p i r a ti on , Hans Richter's

    Ghost Before Breakfast, seen ona small screen, and paintings-cum-music notations by JorindeVoigt, inspired by the movementso f t he Earth and stars. Just before

    that is the m ag n i f ic e nt EasterMorning by Bruce Conner (res-tored for the occasion). On thetop floor, after a successful dia-logue between Heinz Mack andCerith Wyn Evans, our attentionis drawn to the strange installa-tion by Icaro Zorbar, a melancholynighttime landscape, and Domi-nique Blais's m oo n s that open

    and close the display layout.At the Sucrière, the walls havebeen taken d ow n to make roomfor a choreography of pieces thatb um p up against each other like

    B o ur s i e r - M o ug e n ot ' s fl o at i ngb o w l s . U s i ng a f e w s e qu i n sstrewn on the floor and a spar-kling fuse giving off a burnt odor,Elisabeth Clark has entirely cir-cumscribed the open stairwell onthe g r o u nd floor. The soft am-bience certainly inspires contem-plation. Here the slow movementof Robert Breer's Floats fits in

    well. Nevertheless, between themushroom cloud rising at the endof the film Crossroads (1976) byBruce Conner and David Medalla'sfrothy white Cloud Canyons (1963-2016), souvenirs of his mother'scoconut ice cream and also ofthe b o m b ar dm en t of Manila atthe end of World War 2, the im-pression of lightness gives wayto a grimmer mood. In the center

    ofthe room is Hans Haacke's great

    rippling sheet, Wide White Flow(1967), a turbulent surface madeof white silk. At the far end is Da-mian Ortega's odd installationhanging from the ceiling, a modelsubmarine (shaped like a rhino-céros) spouting sait as if from anhourglass, a reference to the T.S. Eliot poem The Hollow Men.The event's highpoint cornes with

    the succession of three silos atthe far end of the Sucrière,TomasSaraceno's Hyperweb ofthe Pre-sent, a web woven by a spider ona spotlight projected into the dark-

    ness; Sonic Fountain by Doug Ait-ken, with drops of water fallingfrom the ceiling into a milky liquid;and above ail Suzanne Fritscher'smagnificent installation Flugel,Klingen, immense fan blades spin-ning like a mad chandelier, pro-ducing sounds along with wind.The third floor is about the humanbody; the suspended, constrained

    b o d i es of Da r i o V i la l b a ; OlaM ac ie je ws k a ' s m o v i n g bodiesinspired by Maya Deren; and thea b s e nt b o di e s in La Cave byP h i l ip p e Q ue s ne , a de s er t ed

    theater stage animated by a brea-thing that is simultaneously pro-t ec ti v e and d i s t u r b in g . A f e wghosts seem to have escaped inthe nearby film by ApichatpongWeerasethakul. Projected onto atransparent screen we see fire-works as they fizzle out.The top floor features a succes-sion of pieces that lacks the co-

    hérence of the other spaces: alarge four-screen installation byMelik Ohanian giving a glimpseof a mysterious, marginal life livedon NewYork rooftops; a labyrinth

    designed by Berger et Berger,punctuated by a few sculptures,where we hear a voice reading ashort story by Alain Robbe-Grillet;a kind of altar/tribunal/concertstage by Anawana Haloba; hete-roclite poetic skits inspired by thethinking of Edouard Glissant thatJ u l i e n C r e uz e t c o n c e i v e d asricochets on the surface of an

    o c é a n . T h e la s t p i e c e is byShimabuku, ending the visit witha touch of poetic irony and dead-pan humor: a concert by the Bra-zilian musicians Kassin and ArtoL i n d s a y p r o j e c t e d on t h r eescreens, playing music inspiredby the samba-like rhythms pro-duced by the sound of drippingwater.

    Translation, L-STorgoff

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