AVRIL 2015 - N° 85 · 17 Da n o et M r s p hil - thropes pl anét ires ? Le cha seur d ba c onfirm...

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15 La tauromachie survit grâce aux euros des anti- corrida ! 16 Impact des corridas sur les mineurs, 17 Danone et Mars philan- thropes planétaires ? Le chasseur de base confirmé « éducateur » ? 19 Pêche de loisir et pra- tiques cruelles, 20 Chevaux, ânes et pay- sans ensemble au travail, 21 Loueuse-aux-3 000 porcs, Thons en milliers de tonnes, 22 World Animal Protection et promotion du bien-être animal en Chine, 23 Les requins « boucs émis- saires » 24 Compte-rendu de lecture : Comportement, conduite et bien-être animal. 2 Colloque international, 3 Rapport Antoine sur le ré- gime juridique de l’ani- mal : 10 ans déjà ! 5 Corridas : les racines du mal, 7 Le code civil met l’animal à un régime trop sec, 9 Des condamnations exemplaires, 10 Les BREFs, Élevage in- tensif de porcs et vo- lailles : de quoi s’agit-il ? 11 Courrier adressé aux commissaires européens de l’Environnement, de la Santé et de l’Agriculture, 12 L’organisation des contrôles en protection animale, 13 Compte-rendu de lecture : Comment se promener dans les bois… sans se faire tirer dessus ? ÉTHIQUE ÉTHIQUE DROIT ANIMAL DROIT ANIMAL SCIENCES SCIENCES Il faut concevoir les droits de l’animal comme l’autre face des devoirs de l’homme envers l’ani- mal. L’homme, animal raisonnable, se doit en effet de respecter les autres animaux sous peine de déchoir, car la sensibilité humaine est Une, et ne peut se cloisonner. […] L’homme qui, au lieu de s’émerveiller devant la perfection infinie de tout organisme vivant, détruit la Vie sans motif grave et légitime, abuse de ses pouvoirs et trahit sa propre nature. ERWIN GULDNER, Conseiller d’État (1911-1997) 3 Rapport Antoine sur le régime juridique de l’animal : 10 ans déjà ! 2 Billet du président Louis Schweitzer DROIT ANIMAL ÉTHIQUE & SCIENCES Revue trimestrielle de la Fondation LFDA Sommaire 25 Prix de biologie Alfred Kas- tler : Appel à candidatures, Une seule santé, 26 Quand les poules avaient des dents, 27 Les grands carnivores d’Eu- rope, 28 Nouvelles curiosités zoolo- giques dans les 4 classes de vertébrés, 29 Comptes-rendus de lecture : Animaux disparus, Histoire et archives photographiques, Bestiaire disparu AVRIL 2015 - N° 85 LA FONDATION DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES (LFDA) 39, rue Claude-Bernard - 75005 Paris Bureaux ouverts du lundi au vendredi de 9 h 30 à 13 h et de 14 h à18 h tél. 01 47 07 98 99 [email protected] www.fondation-droit-animal.org ••• RÉDACTEURS DU N° 85 Thierry Auffret Van Der Kemp –TAVDK Zoologiste marin, ancien ingénieur de recherche. Nancy Clarke – NC Psychologue, éthologiste, responsable des programmes éducatifs pour World Animal Protection. Alain Collenot – AC Vétérinaire, embryologiste, ancien profes- seur à l’université Paris VI. Jean-Louis Hartenberger – JLH Paléo-anatomiste, ex directeur de recherche au CNRS. Anne-Claire Lomellini-Dereclenne – ACLD Vétérinaire, inspectrice de la santé publique vétérinaire. Katherine Mercier – KM Juriste en droit de l’agriculture et droit international. Jean-Claude Nouët – JCN Médecin, biologiste, ex professeur des uni- versités, praticien hospitalier. Jean-Paul Richier – JPR Neuropsychiatre, praticien hospitalier. Louis Schweitzer – LS Commissaire général à l’investissement. Peter Stevenson – PS Avocat, conseiller principal en politiques pour Compassion in World Farming. Cédric Sueur – CS Éthologue, maître de conférences à l’uni- versité de Strasbourg. Anne Vonesch – AV Médecin, référente bien-être animal, France Nature Environnement. ••• Revue trimestrielle : ISSN 2108-8470 Direction de la publication : Louis Schweitzer. Rédaction en chef : Jean-Claude Nouët, Sophie Hild. Dessins : Brigitte Renard. Mise en page : Maïté Bowen-Squires. Imprimé sur papier sans chlore et sans acide- par ArtimediA à Paris

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  • 15 La tauromachie survitgrâce aux euros des anti-corrida !

    16 Impact des corridas surles mineurs,

    17 Danone et Mars philan-thropes planétaires ?Le chasseur de baseconfirmé « éducateur » ?

    19 Pêche de loisir et pra-tiques cruelles,

    20 Chevaux, ânes et pay-sans ensemble au travail,

    21 Loueuse-aux-3 000 porcs,Thons en milliers detonnes,

    22 World Animal Protectionet promotion du bien-êtreanimal en Chine,

    23 Les requins « boucs émis-saires »

    24 Compte-rendu de lecture :Comportement, conduite

    et bien-être animal.

    2 Colloque international,3 Rapport Antoine sur le ré-

    gime juridique de l’ani-mal : 10 ans déjà !

    5 Corridas : les racines dumal,

    7 Le code civil met l’animalà un régime trop sec,

    9 Des condamnationsexemplaires,

    10 Les BREFs, Élevage in-tensif de porcs et vo-lailles : de quoi s’agit-il ?

    11 Courrier adressé auxcommissaires européensde l’Environnement, de laSanté et de l’Agriculture,

    12 L’organisation descontrôles en protectionanimale,

    13 Compte-rendu de lecture :Comment se promener

    dans les bois… sans se

    faire tirer dessus ?

    ÉTHIQUEÉTHIQUEDROIT ANIMALDROIT ANIMAL SCIENCESSCIENCES

    Il faut concevoir les droits de l’animal comme

    l’autre face des devoirs de l’homme envers l’ani-

    mal. L’homme, animal raisonnable, se doit en

    effet de respecter les autres animaux sous peine

    de déchoir, car la sensibilité humaine est Une, et

    ne peut se cloisonner. […] L’homme qui, au lieu

    de s’émerveiller devant la perfection infinie de

    tout organisme vivant, détruit la Vie sans motif

    grave et légitime, abuse de ses pouvoirs et trahit

    sa propre nature.ERWIN GULDNER, Conseiller d’État (1911-1997)

    3 Rapport Antoine sur le régime juridique de l’animal : 10 ans déjà !

    2 Bi l le t du prés ident Louis Schwei tzer

    D R O I T A N I M A LÉ T H I Q U E & S C I E N C E S

    Revue tr imestr ielle de la Fondation LFDA

    Sommaire

    25 Prix de biologie Alfred Kas-tler : Appel à candidatures,Une seule santé,

    26 Quand les poules avaientdes dents,

    27 Les grands carnivores d’Eu-rope,

    28 Nouvelles curiosités zoolo-giques dans les 4 classes devertébrés,

    29 Comptes-rendus de lecture :Animaux disparus, Histoireet archives photographiques,Bestiaire disparu

    AVRIL 2015 - N° 85

    LA FONDATION DROIT ANIMAL,

    ÉTHIQUE & SCIENCES

    (LFDA)

    39, rue Claude-Bernard - 75005 Paris

    Bureaux ouverts du lundi au vendredi

    de 9 h 30 à 13 h et de 14 h à18 h

    tél. 01 47 07 98 99

    [email protected]

    www.fondation-droit-animal.org

    •••

    RÉDACTEURS DU N° 85

    Thierry Auffret Van Der Kemp –TAVDKZoologiste marin, ancien ingénieur derecherche.

    Nancy Clarke – NCPsychologue, éthologiste, responsable desprogrammes éducatifs pour World AnimalProtection.

    Alain Collenot – ACVétérinaire, embryologiste, ancien profes-seur à l’université Paris VI.

    Jean-Louis Hartenberger – JLHPaléo-anatomiste, ex directeur derecherche au CNRS.

    Anne-Claire Lomellini-Dereclenne – ACLDVétérinaire, inspectrice de la santépublique vétérinaire.

    Katherine Mercier – KMJuriste en droit de l’agriculture et droitinternational.

    Jean-Claude Nouët – JCNMédecin, biologiste, ex professeur des uni-versités, praticien hospitalier.

    Jean-Paul Richier – JPRNeuropsychiatre, praticien hospitalier.

    Louis Schweitzer – LSCommissaire général à l’investissement.

    Peter Stevenson – PSAvocat, conseiller principal en politiquespour Compassion in World Farming.

    Cédric Sueur – CSÉthologue, maître de conférences à l’uni-versité de Strasbourg.

    Anne Vonesch – AVMédecin, référente bien-être animal,France Nature Environnement.

    •••

    Revue trimestrielle : ISSN 2108-8470

    Direction de la publication:

    Louis Schweitzer.

    Rédaction en chef :

    Jean-Claude Nouët, Sophie Hild.

    Dessins: Brigitte Renard.

    Mise en page: Maïté Bowen-Squires.

    Imprimé sur papier sans chlore et sans acide-

    par ArtimediA à Paris

  • Notre Fondation LFDA mène depuispresque quarante ans, avec persévérance,un combat pour les droits des animaux,combat fondé sur l'éthique, la science et ledroit. Ce combat se heurte à des groupesde pression puissants et organisés, alorsque la LFDA ne s'appuie que sur la compé-tence et la générosité de ses soutiens.Parfois, la modestie des progrès au regardde l'importance des enjeux pourrait inciterau découragement. Mais deux événe-ments majeurs, récents, porteurs d'avenir,redonnent confiance.

    Le premier est la modification du codecivil, issue de l'amendement de M.Glavany, ancien ministre de l'Agriculture.Cette modification reconnaît, dans ce textecentral de notre droit, le caractère d'êtressensibles aux animaux. Le texte voté n'apas de conséquences juridiques immé-diates. Il peut et doit être complété et pré-cisé, mais sa valeur symbolique estimportante et il porte en lui une dynamiqueforte dont témoignent les oppositions qu’il asuscitées.

    Cette modification du code civil trouve sasource initiale dans le rapport remarquable

    établi en 2005 par Mme Suzanne Antoine,magistrate et secrétaire générale de laLFDA. Cette modification a été facilitée parla prise de position du président FrançoisHollande, en réponse à une lettre que lui aadressée la LFDA en 2012.

    Le second événement est la publicationpar le ministère de l'Agriculture d'une« Stratégie de la France pour le bien-êtredes animaux 2015-2020 » qui se veutambitieuse. Le ministère affirme que lebien-être animal constitue un enjeu desociété. Il souligne que « l'évolution desconnaissances scientifiques expliquenotamment pourquoi les citoyens deman-dent que la sensibilité de l'animal soitmieux prise en compte. Au-delà desaspects scientifiques ou émotionnels, laquestion du bien-être animal revêt par ail-leurs, une réelle dimension éthique » etnote qu’« il est apparu nécessaire que laFrance se dote pour les prochaines annéesd'une stratégie nationale ambitieuse, fac-teur d'avenir pour une agriculture plusdurable ».

    Cette stratégie, déclinée en 5 axes, a étéélaborée « en co-construction avec les pro-

    ducteurs, les scientifiques mais égalementles organisations de protection animale,réunis au sein du Comité national d'orienta-tion de la politique sanitaire animale etvégétale (CNOPSAV) ». Le Ministèreindique enfin que « les projets initiés dansle cadre de cette stratégie feront l'objet d'unsuivi par le CNOPSAV, instance de gouver-nance sanitaire compétente ». Faut-il rap-peler que la LFDA, en particulierJean-Claude Nouët, son vice-président,est un participant actif, exigeant et constantdu CNOPSAV.

    L'affirmation d'une telle stratégie auraitété inconcevable il y a quelques années.Elle traduit les progrès accomplis par lacause animale. Bien sûr, cette stratégie,dont la LFDA analysera de façon détailléeles éléments dans sa revue, doit être préci-sée et renforcée sur certains points. Biensûr, il faudra suivre sa mise en œuvre avecvigilance et la LFDA s'y attachera.

    Il reste que le bien-être animal trouve saplace au cœur de la politique agricole de laFrance et que cela témoigne de la perti-nence de notre engagement.

    LS

    2 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

    Billet du président Louis Schweitzer

    Colloque international : « Bien-être animal, de la science au droit »

    La Fondation Droit animal, Éthique et Sciences organise un colloque international qui se tiendra les 10 et 11 décembre 2015

    aux locaux de l’Unesco à Paris, sur le thème: « Bien-être animal, de la science au droit ».Une vingtaine d’intervenants du monde entier y seront conviés pour répondre à une série de questions, dont les suivantes :

    Qu’est-ce que le bien-être animal? Quels en sont les indicateurs et les méthodes d’évaluation? Comment les législations et régle-mentations françaises, européennes et internationales prennent-elles en compte le bien-être animal? Quels sont les animauxconcernés et pourquoi? Quels facteurs socio-économiques et culturels entrent en considération dans l’établissement des stan-dards de bien-être animal et leur acceptation sociale? Quelles sont les priorités et les voies d’action pour une amélioration géné-rale de ces standards?

    Outre son objectif d’information du public sur les connaissances les plus actuelles sur ce sujet, ce colloque et ses conclusions

    appuieront les démarches que La Fondation Droit animal, Éthique et Sciences conduit afin de renforcer et de préciser la législation

    et la réglementation visant à préserver le bien-être des animaux, tant auprès du gouvernement français que de la Commission

    européenne.

    Inscriptions – Important : Le colloque, comme les précédents événements organisés par la Fondation LFDA, sera ouvert gra-

    tuitement au public. L’accès sera soumis à l’obligation d’une inscription préalable, et une vérification de l’identité sera effectuée à

    l’entrée par les services de l’Unesco. Compte tenu du nombre réduit de places disponibles, une priorité sera donnée aux donateurs

    de la Fondation Droit animal, Éthique et Sciences, aux juristes et aux scientifiques concernés par la vie animale (enseignants,

    chercheurs, praticiens et étudiants), aux parlementaires et représentants d’instances ministérielles concernés par l’animal, ainsi

    qu’aux représentants des professions en lien avec l’animal (éleveurs, pêcheurs, directeurs et soigneurs de parcs zoologiques et

    aquariums, responsables d’animaleries, journalistes de la presse animalière, responsables d’ONG de protection animale et de

    préservation de la faune sauvage).

    Nous vous invitons donc à manifester votre intérêt pour ce colloque au plus tôt en envoyant un email (de préférence) à

    [email protected] ou en appelant la Fondation au 01 47 07 98 99, en justifiant de votre appartenance aux caté-

    gories mentionnées ci-dessus, afin de sécuriser votre enregistrement pour les 2 jours du colloque. Un bulletin d’inscription à com-

    pléter vous sera communiqué à une date ultérieure pour confirmer votre inscription.

    Les activités de la Fondation LFDA en 2015 seront marquées par deux événements majeurs : la remise du 10e Prix de biologieAlfred Kastler, en octobre (voir informations section Sciences page 25 ) et le colloque « Bien-être animal, de la science au droit » endécembre.

  • DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 3

    DROIT ANIMAL

    Rapport Antoine sur le régime juridique de l’animal : 10 ans déjà !

    Une initiative gouvernementale

    En 2004, le statut juridique de l’animaldevient pour la première fois une préoccu-pation juridique sérieuse pour le gouverne-ment français. Le 4 mars 2004, M. Raffarin,Premier ministre, organise une réunion ras-semblant différentes associations de pro-tection des animaux et de l’environnementafin de mener une réflexion globale surl’animal. Suite à cette réunion,Mme Suzanne Antoine, présidente dechambre honoraire à la cour d’appel deParis, est chargée par M. Perben, gardedes Sceaux, de rédiger un rapport sur lestatut juridique de l’animal en droit civil (ci-après « le Rapport »). Soucieux de mettreen place un régime juridique plus cohérent,le gouvernement envisage de réformer lecode civil en se fondant sur le travail deMme Antoine. Le 10 mai 2005, celle-cidépose à la Chancellerie un rapport de 50pages comprenant une étude exhaustivedu droit applicable à l’animal et deux propo-sitions alternatives permettant de rénoverson statut juridique. La réforme envisagée,contrariée par un remaniement ministériel,ne verra malheureusement pas le jour.Mais si l’absence d’évolution textuelleconsécutive à la remise du rapport est àdéplorer, celui-ci reste un document majeurdont le contenu mérite d’être salué par lespolitiques et les juristes français à plusieurstitres.

    Tout d’abord, il s’agit, en 2005, avec lathèse de M. Marguénaud (1), du premierdocument juridique permettant aux per-sonnes intéressées par la protection del’animal d’acquérir une connaissancesérieuse et globale des textes relatifs audroit animal. L’expertise de Mme Antoine,magistrate, présente un double avantage :au-delà d’un travail juridique de grandequalité, qu’il peut paraître superflu de rap-peler, son expérience en tant que juge lui apermis d’anticiper les lacunes textuelles, etdonne au rapport une approche à la foisthéorique et pragmatique.

    Ensuite, le texte est équilibré. Il proposeune réforme permettant de distinguer l’ani-mal être sensible du « bien » inanimé, touten respectant les besoins des acteurs del’économie française qui utilisent l’animal àdes fins commerciales. Loin d’accabler lesacteurs des domaines agricoles et scienti-fiques ou de limiter le principe d’appropria-tion de l’animal, ce rapport prend enconsidération le « rôle économique [quel’animal] joue sur le plan commercial » (2)et propose au garde des Sceaux un textede compromis à même d’être transposédans l’ordre juridique français.

    Enfin, la compilation des textes, l’analysede droit comparé ainsi que les propositionsfaites par Mme Antoine ont été, dix ans

    après la remise du Rapport au garde desSceaux, un outil de travail d’une trèsgrande valeur pour les auteurs desrécentes réformes et tentatives de réformedu statut de l’animal.

    Les deux propositions de réformedu régime juridique de l’animal

    Avant de présenter un bilan des évolu-tions textuelles qui ont eu lieu en France età l’étranger depuis la remise du Rapport, ilest essentiel de rappeler les deux proposi-tions de réforme du code civil faites parMme Antoine, administratrice de la LFDA.Celles-ci sont fondées sur les textes euro-péens et nationaux existant à l’époque dela rédaction du Rapport et ne remettent nul-lement en cause la possibilité d’appropria-tion de l’animal (3).

    La première proposition envisage d’ex-traire totalement les animaux de la catégo-rie des biens en créant un Livre II communaux biens et aux animaux. Au sein de ceLivre, un titre aurait été dédié aux disposi-tions relatives aux animaux alors que l’au-tre aurait eu trait aux biens inanimés. Cettemodification, bien qu’ambitieuse, n’auraitpas eu pour conséquence l’attribution de lapersonnalité juridique aux animaux (4)(c'est-à-dire leur attribuer, comme auxêtres humains et aux sociétés, des droits etdes obligations), l’auteur du rapport n’étantpas favorable à cette technique juridique(5).

    La seconde proposition, moins auda-cieuse, consiste en la création d’une troi-sième catégorie de biens aux côtés desbiens dits « meubles » et « immeubles ».Les animaux auraient alors fait partie de lacatégorie des « biens protégés ». À l’instarde la première proposition, les règles rela-tives à l’appropriation des animaux seraientrestées soumises aux dispositions du codecivil et du code rural. Cette solution, pré-sentait l’avantage de ne pas remettre encause la structure du code civil à laquelleles juristes restent attachés, tout en per-mettant une distinction symbolique entreles biens inanimés et les animaux êtressensibles (6).

    Les réformes françaises du statutjuridique de l’animal

    Bien que le Rapport n’ait pas immédiate-ment été suivi d’une réforme d’initiativegouvernementale, comme il en avait étéinitialement question, celui-ci a servi debase aux projets de réforme d’origine par-lementaire issus d’une collaboration entredes associations de protection animale etdes parlementaires sensibles à cettecause.

    En 2013, le sénateur Povinelli, épaulépar la Fondation LFDA, a déposé une pro-

    position de loi reprenant le Rapport etdéplorant qu’aucune suite n’ait été donnéeà celui-ci. Le sénateur a choisi de repren-dre la proposition la plus audacieuse durapport consistant à faire sortir l’animal dutitre consacré aux biens (7). La propositionde loi prévoyait une définition de « l’animalêtre sensible », qui fait toujours défautaujourd’hui, et mentionnait la nécessité deplacer les animaux « dans des conditionsconformes aux impératifs biologiques deleur espèce » conformément aux disposi-tions du code rural. Malheureusement,pour des questions d’opportunité politique,la proposition de loi n’est pas allée auterme du processus législatif (elle n’a, àvrai dire, même pas été mise à l’ordre dujour…).

    En 2014, Mmes les députés Gaillard etAbeille déposent une proposition de loi« visant à établir la cohérence des textesen accordant un statut juridique particulierà l’animal » (8). Comme Mme Antoine, lesauteurs de la proposition de loi refusent« l’idée de faire des animaux des sujets dedroit » et souhaitent une mise en cohé-rence du code rural et du code civil afin quel’animal y soit reconnu comme être sensi-ble. Les articles de la proposition créent, àl’instar de la seconde proposition duRapport, un titre à part au sein de la caté-gorie des biens réservé aux animaux etprécisent que ceux-ci « doivent bénéficierde conditions conformes aux impératifsbiologiques de leur espèce et assurant leurbien-être/bien-traitance » (9). Cette propo-sition de loi n’a, encore une fois, pas étédébattue par les parlementaires.

    En 2015, un projet de réforme reprenantla proposition de Mme Antoine faisant del’animal un « bien protégé, sans personna-lité juridique » (10) et prenant en compteles critères de « vie et de la sensibilité » enlieu et place du critère de mobilité a abouti.Cette modification du code civil initiée parle député Jean Glavany, ancien ministre del’Agriculture, a pris la forme d’un amende-ment lors des débats parlementaires sur laloi dite de « modernisation et de simplifica-tion du droit » (11). La loi, telle qu’amendéepar M. Glavany, a été adoptée par les par-lementaires et validée par le Conseilconstitutionnel en début d’année. Le faitqu’une pétition de l’association 30 Millionsd’amis demandant le changement de statutjuridique de l’animal soit signée par plu-sieurs centaines de milliers de Français afortement contribué à créer d’un climat poli-tique propice à une telle réforme. Depuisl’entrée en vigueur de la loi n° 2015-177, unnouvel article 515-14 du code civil disposeque « Les animaux sont des êtres vivantsdoués de sensibilité. Sous réserve des loisqui les protègent, les animaux sont soumisau régime des biens ». Si la réforme de u

  • DROIT ANIMAL

    4 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

    Rapport Antoine sur le régime juridique de l’animal : 10 ans déjà ! (suite)

    2015 reprend, dans les mêmes termes,une partie de la deuxième proposition deMme Antoine, deux distinctions sont pré-sentes :

    En premier lieu, la réforme issue de la loin° 2015-177 ne crée pas de « chapitre spé-cial “des animaux” au sein du Titre premier“de la distinction des biens” » (12). L’article515-14 se situe cependant en amont desdispositions relatives aux biens, lui attri-buant ainsi une place particulière (pour nepas dire bancale) au sein du Titre relatif auxbiens. À ce sujet, il faut reconnaître que lacréation d’un chapitre intitulé « Des ani-maux », tel que proposé par le Rapport,aurait été plus appropriée. Par ailleurs, letexte de l’article 515-14, contrairement à laproposition du Rapport et des deux propo-sitions de loi précitées, ne reprend pas lestermes de l’article L214-1 du code ruralselon lesquels « en toutes circonstances,[les animaux] doivent bénéficier de condi-tions conformes aux impératifs biologiquesde leur espèce ». Cette lacune est regretta-ble, puisque l’un des buts avoués del’amendement dit « Glavany » était d’har-moniser les articles du code rural et ducode civil (voir article p 7 : « Le code civilmet l’animal à un régime trop sec »). Enfin,le Rapport présentait l’avantage de définirclairement la nature juridique de l’animal enprécisant que « les biens comportent d’unepart les animaux, qui sont des biens proté-gés en leur qualité d’êtres vivants et sensi-bles, d’autre part les immeubles et lesmeubles » (13), une clarté qui fait défautdans la récente modification du code civil.

    Si la présente réforme reste lacunairesous certains aspects, il faut néanmoinsféliciter les associations et les parlemen-taires pour leur courage politique et leurtravail qui ont rendu possible cette avancéehautement symbolique.

    L’attribution de la personnalitéjuridique à l’animal en droitcomparé

    L’attribution de la personnalité juridique àl’animal est une technique juridique aussiaudacieuse que controversée permettant,à l’instar de la première solution proposéepar Mme Antoine, de sortir l’animal de lacatégorie des biens : il s’agit d’octroyer àl’animal un statut de personne (nonhumaine), afin que celui-ci puisse fairevaloir ses droits en justice par l’intermé-diaire d’un représentant, une fiction juri-dique qui est déjà utilisée en droit françaispour les sociétés. Cette solution n’a pas étéretenue par Mme Antoine qui considèreque malgré la démonstration d’une proxi-mité génétique de certains primates avecl’homme, la personnalisation de l’animalest « fortement teintée d’anthropomor-

    phisme » (14) et superflue puisque l’animalpeut être efficacement protégé par d’autresbiais. Dans le Rapport, à l’occasion d’unexposé des différentes thèses doctrinalesexistantes, Mme Antoine évoque toutefoiscette technique juridique et estime à justetitre que « le débat sur la personnalisationest loin d’être clos » (15).

    En France, aucune nouveauté n’est àprévoir sur ce plan, la mention de l’animalêtre vivant doué de sensibilité dans le codecivil ayant déjà engendré la colère des lob-bies agricoles et de la chasse, ire dont lessénateurs se sont fait le relais lors desrécents débats parlementaires. Enrevanche, sur le plan du droit comparé, ladécennie qui a suivi la remise du Rapport avu fleurir des décisions jurisprudentielles etgouvernementales intéressantes qui irri-gueront peut-être dans les années à venirle droit français :

    En Inde, la réforme des dispositions rela-tives à la détention de dauphins dans desparcs aquatiques a pris la forme d’une cir-culaire (16), c’est-à-dire d’un documentémanant du gouvernement. Celui-ci neprescrit pas une modification du statut juri-dique de ces mammifères marins, contrai-rement à ce qui a souvent été affirmé parles médias, mais demande aux États fédé-rés de refuser l’ouverture de parcs aqua-tiques utilisant des dauphins. Si le statutjuridique de ces cétacés demeureinchangé, cette circulaire qui amélioreconsidérablement leur sort doit être saluéeet imitée. L’argumentaire utilisé par le gou-vernement est particulièrement intéressantpuisqu’il est révélateur d’un contexte poli-tique favorable à l’attribution d’un statutjuridique de « personne non humaine » àcertains animaux. Le ministère del’Environnement reprend les propos descientifiques qui ont mené des expériencessur le comportement du dauphin. Commel’explique la circulaire, ces expériencesayant démontré que les dauphins sontdotés d’une intelligence remarquable, lesscientifiques estiment que « ces animauxdevraient être vus comme des “personnesnon humaines” et devraient en consé-quence bénéficier de droits propres » (17).Dans un contexte politique aussi favorableau bien-être animal et au changement destatut juridique, en Inde, une décision juris-prudentielle ou un texte législatif pourrait àl’avenir attribuer aux dauphins ou auxgrands singes la personnalité juridique.

    Aux États-Unis, les membres duNonhuman Rights Project (NHRP) se sontdonnés pour mission d’obtenir une modifi-cation du statut de certains animaux dansles pays régis par la common law (principa-lement le statut des grands singes, desdauphins et des éléphants). Ils souhaitentque ces animaux ne soient plus considérés

    comme des biens, mais comme des « per-sonnes » détentrices de droits fondamen-taux. Afin de parvenir à ce résultat, ilsintentent des actions en justice afin deréformer le droit par le biais de nouvellesdécisions jurisprudentielles, comme lenécessite le système de common law. Lespremières actions, qui datent de 2013,concernent la détention de quatre chim-panzés et suivent leur cours en attendantde remonter, espérons-le, devant la Coursuprême. Toutefois, le NHRP se heurterégulièrement à l’argument juridique selonlequel ces animaux sont incapables d’as-sumer des droits et des obligations et nepeuvent en conséquence être considéréscomme des sujets de droit.

    En Argentine, l’action en justice d’uneassociation de protection animale visant àattribuer la personnalité juridique à unorang-outang a récemment abouti. Cetteaction était fondée sur l’habeas corpus, unprincipe de common law qui énonce laliberté fondamentale de ne pas être empri-sonné sans jugement (18). Le 18 décem-bre 2014, la cour d’appel pénale fédéralede Buenos Aires a décidé qu’« en se fon-dant sur une interprétation dynamique, etnon statique, de la loi, il est nécessaire dereconnaître l’animal comme sujet de droit,car les êtres non-humains (animaux) béné-ficient de droits » (19). Si cette décision neprécise pas les modalités de l’exercice desdroits de l’animal, l’attribution du statut desujet de droit est sans équivoque. Cetteinnovation juridique est le fait del’Asociacion de Functionarios y Abogadospor los derechos de los Animales, dont l’ac-tion est similaire à celle du NonhumanRights Project aux États-Unis, et des jugesargentins qui ont fait preuve d’une grandeouverture d’esprit.

    Les lacunes textuelles quidemeurent

    Alors que la dernière décennie a vu naî-tre des réformes au symbolisme fort enFrance et aux grandes conséquences pra-tiques en Argentine, de nombreuseslacunes demeurent. Les insuffisances lesplus importantes concernent en premierlieu les définitions des termes « être sensi-ble » et « bien-être animal ». Le flousémantique qui entoure ces notions faitobstacle à la normativité des textes qui pro-tègent l’animal. En outre, une réforme destextes applicables aux animaux sauvagesest nécessaire. Comme souligné parMme Antoine, seuls « les animaux domes-tiques et assimilés font l’objet d’une protec-tion sur le plan individuel […]. Les animauxsauvages ne bénéficient d’aucun texte de“protection”, mais de textes assurant la“préservation des espèces” » (20). u

  • DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 5

    DROIT ANIMAL

    Aujourd’hui, grâce au travail fondateur deMme Antoine et à l’œuvre des associationsde protection animale, seuls les représen-tants des lobbies les plus puissants, sen-tant le vent tourner en leur défaveurcontinuent de répéter, tel un mantra, que lefait d’assurer des « conditions conformesaux impératifs biologiques de leur espèce »apparaît « abusif et dangereux » (21). Siles réformes en faveur du bien-être animalparaissent souvent insuffisantes, il ne fautpas sous-estimer l’impact de leur caractèresymbolique : lorsqu’un symbole est affirmédans un texte tel que le code civil, il s’agitde l’affirmation d’un principe. Pour repren-dre les mots de Mme Antoine, ces réformessont « le reflet d’un changement de menta-lité montrant que l’on est enfin sortides théories cartésiennes de l’animal-machine » (22).

    KM

    (1) Marguénaud JP. (1992). L’animal en droit privé,Presses universitaires de France.(2) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridique del’animal, La Documentation Française, p. 29.(3) Id., p. 45.(4) Id., p. 45.(5) Antoine S. (2007). Le Droit de l’animal, Legis France1re édition, p. 57.(6) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridique del’animal, La Documentation Française, p. 57.(7) Proposition de loi n° 42 de M. R. Povinelli reconnais-sant à l’animal le caractère d’être vivant et sensibledans le code civil.(8) Proposition de loi n° 1903 de Mmes Gaillard etAbeille visant à établir la cohérence des textes enaccordant un statut juridique particulier à l’animal.(9) Id.(10) Antoine S (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 29.(11) Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à lamodernisation et à la simplification du droit et des pro-cédures dans les domaines de la justice et des affairesintérieures.(12) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 30.(13) Id., p. 47.(14) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 57.(15) Id., p. 11.(16) Circular F. No. 20-1/2010-CZA(M), may 17 2013,policy on establishment of dolphinariums – regarding: (17) Id., “Whereas cetaceans in general are highly intel-ligent and sensitive, and various scientists who haveresearched dolphin behaviour have suggested that theunusually high intelligence; as compared to other ani-mals means that dolphin should be seen as “non-human persons” and as such should have their ownspecific rights.”(18) À ce sujet, voir l’article suivant : GeorgesChapouthier, « Homme/ animal : quelle frontière juri-dique ? », Revue trimestrielle de la LFDA n° 84, p. 3.(19) Camara Federal de Casacion Penal, registro n°2603/14, 18 de diciembre de 2014 : « Que, a partir deuna interpretacion dinamica y no estatica, menester esreconocerle al animal el caracter de sujeto de derechos,pues los sujetos non humanos (animales) son titularesde derechos. »(20) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 23.(21) Pronaturafrance.free.fr(22) Antoine S. (2005). Rapport sur le régime juridiquede l’animal, La Documentation Française, p. 25.

    Rapport Antoine (suite) Corridas : les racines du mal

    La corrida (1) est l’objet d’une tolérancerésultant d’une « exclusion de responsabi-lité pénale » au bénéfice des auteurs demauvais traitements (article R654-1 ducode pénal) et d’actes de cruauté et desévices graves (article 521-1 du codepénal), à la condition que ces délits soientexercés lors de « courses de taureauxlorsqu’une tradition ininterrompue peut êtreinvoquée ». Ce privilège (légal, mais illégi-time) a été introduit par la loi du 24 avril1951, qui a « complété » (c’est le terme uti-lisé, mais « amputé » serait le termeexact !) l’article unique et alors toujours envigueur de la loi du 2 juillet 1850 (dite loiGrammont) qui punissait « ceux qui aurontexercé publiquement et abusivement demauvais traitements envers les animauxdomestiques ». Que s’est-il donc passédurant un siècle, pendant lequel les « per-sonnels » infligeant des mauvais traite-ments à des taureaux dans les arènes

    tombaient théoriquement sous le coup dela loi, et pourquoi ce revirement?

    Repartons au lendemain de la loiGrammont, qui concernait les animauxdomestiques en général. À l’époque,quelques corridas étaient organisées ici etlà dans le Sud-Ouest français. C’est le21 août 1853 que s’est déroulée à Saint-Esprit-lès-Bayonne la première corridaespagnole officielle en présence de l’empe-reur Napoléon III et à la demanded’Eugénie de Montijo, son épouse depuisjanvier. Ensuite, progressivement, les corri-das avaient gagné Nîmes, Arles, Bordeaux,Dax, Céret, Toulouse, Béziers, Mont-de-Marsan, Beaucaire, Montpellier etMarseille. Elles avaient soulevé les plusvives protestations tant parmi les popula-tions locales que dans la France entière,venant de grandes et célèbres personnali-tés, au point qu’en 1884 Pierre Waldeck-Rousseau, ministre de l’Intérieur, donnades instructions pour que la loi de 1850 soit u

  • DROIT ANIMAL

    6 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

    appliquée aux corridas. Elle l’a été plus oumoins, les autorités locales ne faisantaucun effort pour qu’elle soit respectée,bien au contraire. Quelques affaires judi-ciaires ayant abouti à la relaxe de per-sonnes ayant participé à des corridas, leministère public a saisi la Cour de cassa-tion sur deux d’entre elles. La Cour a renduses arrêts le 16 février 1895. Nous avonsrecherché et consulté le Bulletin des arrêtsde la Cour de cassation rendus en matièrecriminelle (2) ; c’est là une référence histo-rique et juridique peu connue, et la lectureen est extrêmement intéressante et instruc-tive. Ce jour-là, la Cour de cassation acassé et annulé le jugement de relaxe pro-noncé le 6 octobre 1894 par le tribunal desimple police de Bayonne, et le jugementdu 29 octobre 1984 par le tribunal de sim-ple police de Nîmes, au bénéfice de onzepersonnes à Bayonne (dix matadors et l’or-ganisateur) et de sept personnes à Nîmes(six matadors et l’organisateur) (3). Danschacune des deux affaires, la Cour aexprimé clairement et en détail les motifsde ses décisions :

    « - Attendu que les arènes sont sanscontestation possible un lieu public,puisqu’elles sont accessibles à qui-conque veut bien y payer sa place ;« - Attendu que les mauvais traitementsexercés envers les taureaux espagnolset les chevaux (4), n’étant justifiés paraucune nécessité, constituent par celamême l’abus que la loi a voulu réprimer ;« - Attendu que ces taureaux espagnolsqui vivent sous la surveillance del’homme, sont élevés, sont nourris et sereproduisent par ses soins, rentrentparmi les animaux domestiques que la loidu 2 juillet 1850 a voulu protéger ;« - Attendu que le sieur […] directeur descourses de taureaux de Nîmes, a donnédans les arènes de cette ville une courseoù six taureaux espagnols ont été mis àmort à l’aide d’une épée ;« - Attendu que […] peu importe que lesaffiches apposées pour appeler le publicn’aient point annoncé la mise à mort,qu’en effet la contravention existeraitindépendamment même de toute affiche.

    Dans les deux cas, la Cour a renvoyé« l’affaire et les parties devant le tribunalde simple police de Limoges, à ce dési-gné par délibération spéciale en cham-bre du conseil ».

    Réveillés par l’arrêt de la Cour de cassa-tion (que nos politiques contemporains

    devraient se donner la peine de relire), lespouvoirs publics ont décidé d’appliquer laloi et de sévir. Le Supplément illustré duPetit Journal du 15 septembre 1895 rap-porte que le torero Mazzantini a été recon-duit à la frontière par les gendarmes, enapplication de l’« Interdiction des coursesde taureaux dans le Midi ». Le dessin encouleurs figurant en couverture du PetitJournal est bien connu. On y voit le toreroet ses acolytes, le commissaire de policesanglé de l’écharpe tricolore, qui leur mon-tre la sortie, et les pandores. L’article, enpage 295 du journal, est savoureux. Aprèsson expulsion, décidée par le préfet surordre de son ministre, Mazzantini estreparti en Espagne, où il « a, de longuesheures, attendu des excuses, auprès d’untrain spécial qui chauffait pour le rameneren France. […] Mais rien n’est venu, et,pensif, il est parti, plongeant plus profondé-ment dans son pays. » L’auteur de l’articleavoue son dégoût pour la corrida, maisadmet que certains puissent y assister,affirmant que dès lors « que des hommes,des femmes même, vont par plaisir à lachasse tuer des animaux inoffensifs qu’ilsne mangent seulement pas, [il] ne voit pasce qu’il y a d’excessif à tuer des taureauxqui, eux, se défendent ». Ajoutant : « Maisvoilà, il y a la loi, cette coquine de loi quiinterdit ce genre de distraction, et dame !quand on est le gouvernement, il faut bienla faire respecter si l’on veut être respectésoi-même » faute d’avoir affaire aux gen-darmes, « et quand on entre en relationavec eux, on ne sait pas toujours jusqu’oùcela peut vous mener. »

    Le scandale a été grand en Espagne, carLuigi Mazzantini (d’origine italienne), y étaitun torero dandy, reçu dans le Tout-Madrid.Disposant d’une confortable fortune, ilvivait sur un grand pied, allait à l’opéra enhabit et savait soigner sa popularité.

    Cet acte éclatant n’a été suivi d’aucuneautre manifestation d’autorité dont il restedes traces. À partir de la fin du xIxe, plu-sieurs villes du Sud de la France conduitespar des élus aficionados vont organiser entoute illégalité des corridas pendant plusd'un demi-siècle, alors que leurs édilesétaient garants officiels et obligés du res-pect de la loi. Un arrêt du 13 juin 1932 estbien venu confirmer celui de 1895, mais iln'est pas suivi d'effet. La pression des ama-teurs de corrida de muerte s’est mêmeconsidérablement accrue avec l’arrivéedes immigrés espagnols fuyant le nouveau

    régime. La loi du 24 avril 1951 a été votéesans difficulté. Alors que le jugement de laCour de cassation du 16 février 1895 avaitfait entrer le taureau de corrida dans lechamp d’application de la loi Grammont de1850, la loi de 1951 l’en a fait implicitementsortir. En un siècle, quel honteux repliéthique ! Le recul s’est hélas poursuivi avecle dévoiement des termes « traditionlocale » interprétés par la Cour de cassa-tion dans son arrêt du 27 mai 1972 commeconcernant un ensemble démographique,une décision arbitraire qui introduit unecontradiction au sein même des articles ducode pénal. En effet, l’expression « tradi-tion locale » utilisée également au sujet descombats de coqs est dans ce cas liée à unecommune, alors qu’elle se trouve liée à unerégion pour la corrida… Le recul éthiquesera confirmé par d’autres décisions, soitd’une cour d’appel soit de la Cour de cas-sation, pour finir dans la laideur extrême dela décision du ministre de la CultureFrédéric Mitterrand d’inscrire la corrida aupatrimoine culturel de la France, enavril 2011. Nos élites politiques et juri-diques seraient bien inspirés de se référeraux motivations morales de leurs anciens,et non de se laisser dicter leurs décisionspar des penchants personnels, ou des inté-rêts privés, souvent électoralistes. Toléreret même valoriser la corrida de muerteillustre la distorsion entre la majorité de nosconcitoyens qui la rejettent, et les élus cen-sés les représenter et qui pourtant l’accep-tent et même la promeuvent. C’estd’ailleurs exactement la même chose pourla chasse.

    JCN

    (1) L’ouvrage de référence le plus simple et le plus com-plet sur la corrida est le n° 368 de la collection Que sais-je La Corrida, É. Baratay, É. Hardouin-Fugier, PUF,1995.(2) www.conseil-constitutionnel.fr/conseilconstitution-nel/root/bank/download/2012271QPCdoc.pdf(3) José Delcampo dit Cara Ancha, José Carillé, ManuelMoreno, Joseph Trigo, Rafael Guerra dit Guerrita,Francisco Bonal, José Moyano, Miguel Salguero, JoséLopez, Moreni Marilla et Bernard Iribarnegaray pourBayonne. Fernando Gomez, Francisco Bonal, JoaquimNavarro, José Rodriguez, Gonzalez, Francisco etMiquel Baëz, et Arthur Fayot pour Nîmes.(4) À l’époque, les chevaux n’étaient pas protégés parun caparaçon matelassé qui, en principe, leur évited’être éventrés par un coup de corne. Ils étaient trèssouvent grièvement blessés, tripes sorties et pendantdu ventre parfois recousu à la hâte, pour être achevésune fois sortis de l’arène. En 1928, Miguel Primo deRivera impose le caparaçon « pour éviter ces horriblesspectacles qui répugnent tellement aux étrangers etaux touristes ».

    Liste des textes réglementaires relatifs aux animauxLe supplément droit listant les textes réglementaires relatifs aux animaux est disponible sur le site internet de la LFDA :

    www.fondation-droit-animal.org

    Corridas : les racines du mal (suite)

  • DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 7

    DROIT ANIMAL

    Le code civil met l’animal à un régime trop sec

    L’animal, un être doué de sensibi-lité pour le code civil

    Le 28 janvier, l’Assemblée nationale adéfinitivement adopté le projet de loi sur lamodernisation et la simplification du droit,incluant l’amendement concernant lerégime juridique de l’animal. Le 12 février,le Conseil constitutionnel a jugé la loiconforme à la Constitution (il avait été saisipar 111 députés et sénateurs contestantque le gouvernement ait recours à uneordonnance pour légiférer). La loi a étésignée le 16 février, et publiée au JO le 17sous la référence NOR JUSx1326670L.Son entrée en vigueur est immédiate. Lecode civil mentionne désormais que « lesanimaux sont des êtres vivants doués desensibilité. Sous réserve des lois qui lesprotègent, les animaux sont soumis aurégime des biens » (Voir article KatherineMercier p. 3).

    Le code civil mentionne donc désormaisl’animal conformément à sa nature, et passeulement selon l’usage que l’homme enfait en tant que vendable, achetable, loua-ble, commercialisable. C’est incontestable-ment un pas en avant, du moins sur le planéthique et psychologique. Mais cela n’aaucune conséquence pratique ni sur leplan réglementaire, ni sur le plan pénal.Cela n’impose en rien de modifier lesconditions actuelles d’utilisation des ani-maux, notamment dans le domaine del’élevage industriel : c’est d’ailleurs pour-quoi la FNSEA avait donné son accordpréalable au dépôt de l’amendement parM. Glavany et aux votes des députés !

    Nous ne manquerons pas de soulignerencore une fois et avec force que l’amen-dement Glavany est d’une part extrait despropositions faites par Mme SuzanneAntoine dans son « Rapport sur le régimejuridique de l’animal », rapport dont l’avaitchargée M. Dominique Perben, garde desSceaux, et qu’elle lui avait remis le 10 mai2005, et d’autre part qu’il est inspiré de laproposition du Comité Capitant : deuxsources qu’il aurait été honnête, élégant etjuste de citer. Tout était prêt en mai 2005pour qu’un régime juridique nouveau soitinscrit dans le code civil : ce qui aurait été,si un mois plus tard, en juin, à l’occasiond’un remaniement ministériel, M. Perbenn’avait été remplacé au ministère de laJustice par M. Pascal Clément, beaucoupplus soucieux d’emplir sa gibecière à lachasse que de se préoccuper de la sensi-bilité de l’animal. La modification du codecivil a attendu neuf années supplémen-taires.

    Depuis qu’il avait été adopté pour la pre-mière fois par les députés le 15 avril 2014,« l’amendement Glavany » a suscité d’in-

    nombrables commentaires, souvent exer-cices de pure communication ou élans devalorisation du paraître, répétant en boucledes erreurs et des confusions autantjuridiques que grammaticales, qui témoi-gnaient généralement de la méconnais-sance du sujet par leurs auteurs.Cependant, parmi les plumitifs et autrescommentateurs, l’un a résumé l’affaire enconsidérant assez justement qu’il nes’agissait là que d’une mise en cohérencedes codes, par l’introduction d’une disposi-tion du code rural dans le code civil.L’observation est lapidaire ; mais est-ellepleinement justifiée? Voyons de plus prèsce qu’il en est.

    Que dit le code rural? Et depuis quand?La loi n° 76-629, promulguée le 10 juillet1976, concerne la protection de la nature.Lors de l’examen du projet de loi initial, lacommission parlementaire présidée par M.Roland Nungesser, rapporteur du projet,avait ajouté un chapitre « De la protectionde l'animal ». Ce chapitre est issu d'uneproposition de loi déposée en 1971 parMme Jacqueline Thome-Patenôtre, dépu-tée radical de gauche des Yvelines et mairede Rambouillet, mais qui n’avait jamais étéinscrite à l'ordre du jour (comme beaucoupde propositions de loi sous la CinquièmeRépublique…). L’occasion s’est alorsofferte de l’insérer dans le projet de loi, ceque M. Roland Nungesser a justifié : « Pourdes raisons d'efficacité et de calendrier,votre commission a considéré qu'il étaitopportun d'adopter ici même, plutôt quedans un texte particulier dont la mise à l'or-dre du jour a été trop longtemps différée,les dispositions [d’une] proposition de loi siattendue de Mme Thome-Patenôtre »(cette proposition était essentiellementaxée sur l’animal de compagnie). La com-mission des Affaires culturelles du Sénat arejeté cet ajout, mais il est finalement réta-bli par l’Assemblée nationale, dont la com-mission a demandé que soit placé en têtede ce chapitre supplémentaire « un articlepréfigurant ce qui pourrait donner nais-sance à un véritable droit de l'animal, l'affir-mation de son caractère d'être sensible ».Nous soulignons ce passage extrait desdiscussions parlementaires, historique-ment très important, car il s’agit de la pre-mière manifestation, et pour ainsi dire del’acte de naissance, du « droit animal ». Laformule « Tout animal étant un être sensi-ble doit être placé par son propriétaire dansdes conditions compatibles avec les impé-ratifs biologiques de son espèce » est alorsretenue : elle constitue l’article 9 de la loi du10 juillet 1976. Ultérieurement, cet articlede loi sera intégré au code rural, dont il estdevenu l’article L214-1 créé par l’ordon-nance 2000-914 du 18 septembre 2000.

    Que disent les nouvelles dispositions ducode civil ? Le nouvel article 515-14 édicte :« Les animaux sont des êtres vivantsdoués de sensibilité. Sous réserve des loisqui les protègent, les animaux sont soumisau régime des biens. » Puisque les ani-maux se vendent, s’achètent et se louent, ilétait nécessaire que ces modifications dela propriété soient soumises à des règles :ces règles ne peuvent être que celles appli-cables aux biens. Le fait que la référenceau caractère particulier des animaux« doués de sensibilité » (article 515-14) soitplacée à la première ligne du Livre II, au-dessus du titre premier « De la distinctiondes biens » vise à faire accroire que l’ani-mal est sorti des « biens » : mais il en faittoujours partie, puisqu’il figure dans le Livredeuxième du code intitulé « Des biens etdes différentes modifications de la pro-priété »… La loi a trouvé un artifice gym-nastique pour que l’animal soit traitécomme un bien, tout en n’en étant pas un…

    « Animal être sensible » dit un code,« animaux doués de sensibilité » dit l’autre,les propositions semblent équivalentes.Mais le sont-elles vraiment? Remarquonsque la disposition du code rural « Tout ani-mal étant un être sensible doit êtreplacé… » est individualiste, dans l’espritd’ailleurs de la « protection animale » dontelle est issue : sont visés un individu animalet son propriétaire. Notons de plus que larédaction use ici du participe présent« étant », une forme grammaticale surtoututilisée à l'écrit dans la presse, la corres-pondance et la langue administrative oucommerciale (p. ex. « Cherchons vendeurparlant l'anglais »). Ainsi utilisé, le participeprésent remplace la proposition relativeprécédée de « qui » (p. ex. « Cherchonsvendeur qui parle l’anglais »). Ces deuxformes grammaticales ont exactement lamême signification. Par conséquent la pro-position « Tout animal étant un être sensi-ble » peut être écrite, et doit être comprisecomme « Tout animal qui est un être sensi-ble », ce qui nécessairement sous-entendla possibilité, pour tel autre animal, de nepas être qualifié d’être sensible. Ainsi, ettrès probablement sans que ce fût inten-tionnel chez le législateur, le code rural dis-tingue implicitement un animal êtresensible et un animal qui ne l’est pas. Sesdispositions visant au respect des impéra-tifs biologiques spécifiques s’appliquentseulement à celui « étant être sensible », etne concernent pas celui qui n’est pas êtresensible. Cela ne serait pas si le texte étaitécrit « Tout animal , étant un être sensible ,doit être placé… ». Incluse ainsi entre deuxvirgules, la proposition relierait l’animal à laqualification d’être sensible ; elle signifieraitalors que l’état d’être sensible concernetout animal, quel qu’il soit, sans distinction u

  • DROIT ANIMAL

    8 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

    aucune, c’est-à-dire tous les animaux. Orce n’est pas ce qu’édicte le code rural,lequel, répétons-le, distingue et prend seulen compte l’animal qualifié d’être sensible.

    Que dit le nouvel article 515-14 du codecivil ? « Les animaux sont des êtres vivantsdoués de sensibilité. » Les termes ontchangé : les animaux sont envisagés col-lectivement, et collectivement ils sont affir-més doués de sensibilité, un état de faitgénéralisé sans restriction à l’ensembledes animaux concernés par les règles ducode civil applicables aux biens, ainsi tousdéclarés « doués de sensibilité ». Commel’on voit, les deux articles, celui du coderural et celui du code civil, sont fondamen-talement différents : le premier ne concerneque l’animal être sensible (et de ce fait éta-blit implicitement une catégorie d’animauxqui n’ont pas cette qualité), l’autre s’étend àdes animaux globalement présumés tous« doués de sensibilité ».

    Être sensible ou être doué de sen-sibilité?

    De plus, les expressions « être doué desensibilité » et « être sensible » ont-ellesstrictement la même signification? Cela estdiscutable. En effet, parmi les animaux queconcerne le Livre II du code civil « Desmodifications de la propriété », se trouventdes animaux dont la science ne peut,jusqu’à ce jour, estimer qu’ils peuvent oudoivent être considérés à l’égal des ani-maux d’élevage ou de compagnie quant àleur sensibilité : tels sont les moules et leshuîtres des parcs, les abeilles des ruchers,ou les escargots de l’héliciculture. Au résul-tat, l’article 515-14 qui déclare que tous« les animaux sont… doués de sensibilité »est en quelque sorte contredit par la naturemême de certains des animaux qu’ilconcerne. Le terme « sensibilité » ne peuten aucun cas être appliqué également auxanimaux quels qu’ils soient. Il est trop largeet trop imprécis. Chez les uns, il comportele ressenti de la douleur, de la souffrance ;chez d’autres, dépourvus de système ner-veux organisé, il ne ressortit qu’à la percep-tion d’un facteur nocif (nociception),physique (toucher) ou chimique (jus decitron), qui entraîne une réponse réflexe,sans conscience, en tout cas comparable àla nôtre. Les animaux concernés par lecode civil ne sont pas tous dotés du mêmetype neurophysiologique de sensibilité. Deplus, en étant généralisée ainsi aux « ani-maux », l’affirmation de leur sensibilitéconduit à évoquer une « présomption desensibilité ». À l’instar de la présomptiond’innocence, qui exige d’apporter la preuvede la culpabilité, une présomption de sensi-bilité imposerait de démontrer l’absence du

    ressenti émotionnel de la douleur, de lasouffrance et du stress. Nous revendi-quons depuis plusieurs années l’instaura-tion de la présomption de sensibilité : ceserait là une avancée éthique considéra-ble ! Mais on en discerne les consé-quences, notamment dans le domaine dela recherche…

    Au terme de cette analyse, nous devonsconclure que, contrairement à ce qui a étéavancé, les dispositions du code rural n’ontpas été injectées dans le code civil par lenouveau texte législatif. Et que contraire-ment à ce qui avait été espéré et à ce qui aété dit ou écrit, les deux codes n’ont pas étémis en cohérence ! Nous devons déduireque l’affirmation « Les animaux sont desêtres vivants sensibles » du code civil, etl’affirmation « Tout animal étant un êtresensible » du code rural doivent absolu-ment être amendées, complétées, par ladéfinition de ce qu’est la « sensibilité » del’animal, au nom de laquelle il doit bénéfi-cier de dispositions spéciales. De plus, ni lecode rural, qui réprime les atteintes quisont portées à l’animal « étant un être sen-sible », ni le code pénal qui réprime lesmauvais traitements et les sévices infligésà l’animal en prenant en compte implicite-ment sa capacité à en souffrir, ne mention-nent en quoi consiste cette sensibilité àlaquelle ils se réfèrent, explicitement ounon, pas plus qu’ils ne précisent ni ne défi-nissent quels animaux en sont dotés.

    Il ne suffit pas d’avoir modifié le code civilpour en tirer une satisfaction symbolique,sans avancée ni conséquences concrètes.Le cœur du problème demeure. C’est lanécessité absolue d’apporter par la loi desprécisions et des dispositions établies surdes critères rigoureusement scientifiques,dont les points principaux sont les sui-vants :

    • La définition et les composants de la« sensibilité » et de ce degré de « sensibi-lité » d’un animal qui oblige l’homme à por-ter une attention éthique spéciale à« l’animal être sensible » qui en est doté, età adopter une conduite lui épargnant dou-leur, souffrance et angoisse ;

    • la désignation des animaux reconnusdotés de cette sensibilité* ;

    • la définition de ce qu’est le « bien-être »de l’animal, un état auquel font référencenombre de textes réglementaires natio-naux et européens sans que le terme y soitnulle part explicité, alors que nécessaire-ment il se réfère au respect de cette « sen-sibilité ».

    C’est dans cette voie que s’était engagéeLa Fondation LFDA depuis 2012, en élabo-rant une proposition de texte législatif, qui aété déposée au début de novembre 2013au Cabinet de la Présidence de laRépublique afin d’y être examinée. Ce

    texte y a reçu une approbation de principe,y compris par le Président. Mais l’initiativeportée par M. Glavany, ancien ministre del’Agriculture, a privé notre Fondation de lasatisfaction d’arriver au résultat d’un travailentamé il y a 30 ans et conduit inlassable-ment depuis. Notre projet n’en reste pasmoins valable, sa nécessité est devenueencore plus évidente, et il sera réanimé dèsque les circonstances nous en donneront lapossibilité.

    JCN

    *L’article R214-87 du code rural, applicable à l’utilisa-tion des animaux vivants à des fins scientifiques, men-tionne « animaux vertébrés » (c’est-à-dire mammifères,oiseaux, reptiles, batraciens, poissons) ainsi que« céphalopodes ». Aucune autre mention n’est néces-saire, dans le cadre des connaissances scientifiquesactuelles sur les capacités d’animaux à éprouver ladouleur, la souffrance et l’angoisse.

    Le code civil met l’animal à un régime trop sec (suite)

    Article 2

    de la loi n°2015 du 16 février 2015 relative àla modernisation et à la simplification du droitet des procédures dans les domaines de lajustice et des affaires intérieures - NORJUSx1326670L

    Le code civil est ainsi modifié :1° Avant le titre 1er du livre II, il est inséré unarticle 515-14 ainsi rédigé :« Art. 515-14. – Les animaux sont des êtresvivants doués de sensibilité. Sous réservedes lois qui les protègent, les animaux sontsoumis au régime des biens. » ;2° L’article 522 est ainsi modifié :a) Au premier alinéa, le mot : « censés » estremplacé par les mots : « soumis au régimedes » ;b) Au second alinéa, après le mot : « sont »,sont insérés les mots : « soumis au régimedes » ;3° L’article 524 est ainsi modifié :a) Le premier alinéa est remplacé par deuxalinéas ainsi rédigés :« Les objets que le propriétaire d’un fonds y aplacés pour le service et l’exploitation de cefonds sont immeubles par destination.« Les animaux que le propriétaire d’un fondsy a placés aux mêmes fins sont soumis aurégime des immeubles par destination. » ;b) Les troisième, sixième, septième et neu-vième alinéas sont supprimés ;4° L’article 528 est ainsi rédigé :« Art. 528. – Sont meubles par leur nature lesbiens qui peuvent se transporter d’un lieu àun autre. » ;5° À l’article 533, le mot : « chevaux, » estsupprimé;6° À l’article 564, les mots : « ces objets » sontremplacés par les mots : « ces derniers » ;7° Au premier alinéa de l’article 2500, la réfé-rence : « 516 » est remplacée par la réfé-rence : « 515-14 » ;

    8° À l’article 2501, la référence : « du neu-

    vième alinéa » est supprimée et, après le

    mot : « sont », sont insérés les mots : « soumisau régime des ».

  • DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 9

    DROIT ANIMAL

    Des condamnations exemplaires

    Pollutions et algues vertes

    Le 30 mars 2013, le tribunal administratifde Rennes a annulé les décisions des pré-fets des Côtes-d'Armor, d'Ille-et-Vilaine, duMorbihan et du Finistère, qui avaient refuséd’accéder aux demandes des associationsEau et rivières de Bretagne, VivarmorNature, et Bretagne vivante de modifier desarrêtés préfectoraux trop laxistes dans lagestion du dossier des algues vertes.

    Depuis 2009, le quatrième « programmed'action de lutte contre les nitrates » autori-sait les agriculteurs à épandre du lisier surles terres non ensemencées dès les mois defévrier/mars. Mais à cette période de l'an-née, les terres sont gorgées d'eau et lesnitrates ruissellent directement vers lesrivières, et au bout, la mer. Les quantités delisier épandu sont également trop élevées:210 kg/ha alors que la directive européennesur les nitrates autorise un maximum de170 kg/ha. Selon le tribunal, s’appuyant surles recommandations de l’autorité environ-nementale, les préfets avaient à modifier lesarrêtés afin de reculer la date d'épandagepour la culture de maïs au 31 mars, et lescompléter par « toute mesure de maîtrise dela fertilisation azotée et de gestionadaptée » aux terres agricoles en cause,dans « un délai de trois mois ». Deux moisplus tard, le ministère de l’Écologie faisaitappel de la décision du tribunal administratifde Rennes.

    Le 22 mars 2014, la cour administratived’appel de Nantes a condamné l’État à ver-ser 122932 € à quatre communes desCôtes-d’Armor pour les indemniser des fraisde ramassage et du transport des alguesvertes en 2010.

    Le 12 avril 2014, le tribunal administratifde Rennes a confirmé la responsabilité del’État dans le phénomène des algues vertes,et l’a condamné à verser plus de 7 millions €au Conseil général des Côtes-d’Armor, enremboursement des frais que celui-ci aengagé depuis les années 1970, en appor-tant son aide financière et logistique auxcommunes, dans l’incapacité de faire faceaux dépenses et au besoin de matériels. Letribunal a estimé que le retard de l'État dansla transposition en droit français des direc-

    tives européennes sur la qualité de l'eau et« sa carence » dans l'application aux éle-vages de la réglementation sur les installa-tions classées constituent « une faute ». Lesjuges administratifs ont dénoncé « un liendirect et certain de cause à effet entre cescarences fautives de l'État et le dommageque constitue la pollution par les massesd'algues vertes » sur le littoral armoricain.

    Le 26 décembre 2014, la cour administra-tive d’appel de Nantes a débouté le minis-tère de l’Écologie qui défendait la légitimitédes arrêtés du préfet des Côtes-d’Armor,annulés en mars 2013, et a rejeté les inter-ventions des organisations agricoles. Lacour a confirmé la condamnation de l’État àverser les 7 millions € au Conseil général,prononcée en avril, en confirmant les attri-butions, déjà réparties lors du jugementd’avril : 5143007 € au département pour leramassage et le traitement des algues,1516100 € pour les études menées pouranalyser le phénomène, et 387410 € pourles actions préventives. Les décisions sontparticulièrement bien argumentées, la courayant relevé toutes les carences des « pro-grammes d’action »: périodes d’épandageinadaptées, débordements des fosses àlisier, apports d’azote excessifs, etc.

    Enfin, le 8 janvier, la cour administratived’appel de Nantes a débouté le ministère del’Écologie, qui avait fait appel de la décisionde mars 2013, laquelle annulait les arrêtéspréfectoraux des quatre départements bre-tons. Elle a également rejeté les interven-tions déposées par plusieurs organismessyndicaux, dont la Fédération régionale dessyndicats d’exploitants (FRSEA), membrede la FNSEA, qui contestaient également lemême jugement. La cour a condamné l’Étatà verser 1000 € à chacune des associationsenvironnementales ayant concouru à l’af-faire initiale de 2013.

    La satisfaction est que la justice est pas-sée, en dépit des manœuvres autant del’État (préfectures et ministère de l’Écologie)que des syndicats agricoles. Pourquoi sesdécisions ont-elles été exemplaires? Parcequ’elles ont été particulièrement argumen-tées et justifiées. Mais la justice agit lente-ment : dans cette cascade de décisions

    portant sur la même affaire, elle n’a pu quejuger en dénonçant les graves insuffisancesdu « 4e plan d’action » contre la pollution deseaux par les nitrates d’origine agricole. Maisun 5e plan a été lancé en mars 2014, et il n’apas intégré les prescriptions des jugesadministratifs. La justice a au moins un plande retard… Bien pis, et en méconnaissancedes procédures en cours, la réglementationa été « assouplie », comme l’on dit pudique-ment : depuis le 1er janvier 2014, les éle-vages de moins de 2000 porcs sontdispensés de toute enquête publique por-tant notamment sur les conséquences envi-ronnementales de l’exploitation, alors queprécédemment cette dispense ne concer-nait que les élevages de moins de 450porcs. Cela signifie que l’État continue àsoutenir et à aider la production animaleindustrielle en général, et les usines à fairedes cochons en particulier. Cela signifie queles dégâts environnementaux dus à l’éle-vage intensif, notamment des porcs, ne peu-vent que s’aggraver, et probablement defaçon considérable. Cela signifie enfin queles contribuables continueront de passer àla caisse. Et que, inévitablement, les autori-tés européennes vont un jour réagir vrai-ment, et envoyer la France en justice, avecà la clé, des amendes salées. Mais est-ceaux contribuables de payer pour l’incapacitéde l’État à faire respecter la réglementation,et de compenser par l’impôt l’absence dessanctions financières qui devraient frapperles porcheries industrielles?

    Sources:www.letelegramme.fr/tag/algues-vertes ; m-e-i.fr/algues-vertes ; www.journaldelenvironnement.net ;nantes.cour-administrative-appel.fr ; lejournaldesentre-prises.com/tag/-algues-vertes :http://www.lemarin.fr/secteurs-activites/environnement ;www.ouest-france.fr/algues-vertes ;http://www.actu-environnement.com/ae/news/pollution-nitrates-juge-enjoint-prefets-bretagne-renforcer-pro-gramme-action-18218.php4

    Pas touche aux hirondelles!

    Année après année, les hirondelles sefont de plus en plus rares dans le ciel.Exclusivement insectivores en vol, leurseule nourriture s’est considérablementraréfiée : les insectes sont détruits par lesinsecticides, et sont chassés des prairiesfleuries, remplacées par des labours ; leshirondelles elles-mêmes peuvent être intoxi-quées par les pesticides. La destruction deshaies, les drainages participent aussi à ladiminution d'insectes. Les suppressions deroselières et marais empêchent les hiron-delles de se regrouper dans de bonnesconditions, avant la migration.

    Les hirondelles ne peuvent plusconstruire leurs nids dans les étables et leshangars, remplacés par les bâtiments her-métiquement clos de l’élevage industriel.Les constructions modernes, en ville u

  • DROIT ANIMAL

    10 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

    comme à la campagne, n’offrent plus l’abrides avancées de toit des constructionsanciennes. Tout concourt à la diminutionimportante des effectifs quelle que soit l’es-pèce: hirondelle de cheminée (ou rustique),hirondelle de fenêtre, et hirondelle derivage.

    Pourtant, les hirondelles sont protégéesdepuis la loi du 10 juillet 1976 portant sur laprotection de la nature et l’arrêté du 29 octo-bre 2009 (liste des oiseaux protégés surl’ensemble du territoire national). L’articleL411-1 du code de l’environnement interditen tout temps: « la destruction ou l’enlève-ment des œufs ou des nids, la mutilation, ladestruction, la capture ou l’enlèvement, laperturbation intentionnelle, la naturalisationd’animaux de ces espèces, qu’ils soientvivants ou morts, leur transport, leur colpor-tage, leur utilisation, leur détention, leurmise en vente, leur vente ou leur achat ». Selivrer à l’un de ces actes est s’exposer à uneamende de 15000 euros et/ou une peined’emprisonnement d’une durée maximale

    de 1 an (art. L415-3 et suivants du code del’environnement).

    En dépit de ces interdictions et desrisques, il arrive (plus fréquemment qu’on nele constate) que des nids soient détruits,généralement en raison des déjections ines-thétiques maculant les hauts de façade.Récemment, dans la petite commune deCroixanvec, proche de Pontivy (Morbihan),une « Madame Propre » a détruit cinq nidsd’hirondelle pour rendre plus présentableune vieille bâtisse qu’elle avait l’intention devendre. Un voisin attentif s’en est ému et ainformé l’Office national de la chasse et de lafaune sauvage. Plainte a été déposée par laLPO, qui s’est constituée partie civile.

    L’affaire est passée devant le tribunal cor-rectionnel de Lorient le 12 février. Le repré-sentant de la LPO a rappelé le grave déclinde l’espèce; il s’est étonné que la prévenuepuisse ignorer cette situation, et méconnaî-tre que la loi protège l’oiseau, ses œufs etses nids. Bien que la loi prévoie de lourdespeines, le tribunal s’est limité à prononcerune condamnation de 500 € avec sursis,assortie de 250 € de dommages et intérêtsà verser à la LPO.

    Considérons que cette affaire est elleaussi exemplaire, mais en négatif. La pré-servation des espèces est une obligation etune nécessité absolues. La loi en a prisconscience, et a prévu des peines dissua-sives. Mais la justice n’a pas encore comprisl’importance de veiller au maintien et à laprotection de la biodiversité. En dehors desaffaires majeures de pollution, elle traite lesaffaires courantes, telle celle-ci, commevénielles, voire négligeables ou même ridi-cules. Il en est d’ailleurs de même pour lesaffaires de mauvais traitements ou d’actesde cruauté, jamais soldées par les sanctionsméritées. Ici, il ne fallait certes pas se laisser

    aller à une sévérité excessive, mais le tribu-nal aurait pu prendre en compte que les nidsont été détruits pour vendre un bâtiment àun meilleur prix ! Il aurait dû, au minimum, sedispenser du sursis, ne serait-ce que pourrendre la sentence plus dissuasive.

    Récemment, une affaire similaire a étéréglée plus intelligemment. Une employéemunicipale de Néant-sur-Yvel (Morbihan) adétruit des nids (mais qu’auraient donc lesBretonnes contre les hirondelles !…) : lacommune, mise en cause, a choisi de répa-rer les dégâts en construisant une tour àhirondelles. Une initiative qui devrait êtreencouragée et généralisée.

    Pour conclure, on notera que la préserva-tion des espèces par la loi interdit « la des-truction ou l’enlèvement des œufs ou desnids, la mutilation, la destruction, la captureou l’enlèvement, la perturbation intention-nelle, la naturalisation » des animaux: ellevise l’animal protégé lui-même, ses œufs,son nid, son comportement. Mais elle nevise pas ce qui conditionne en tout premierlieu la survie d’une espèce: la préservationde son biotope. On ne peut pas toucher aunid d’un « oiseau protégé », mais on peutraser des haies, des landes et des bois,assécher des marais et des ruisseaux. Onne peut pas perturber intentionnellementl’animal « protégé », mais on peut impuné-ment le priver de son territoire, de ses abriset de sa nourriture. Tout cela est entachéd’une grande hypocrisie…

    JCN

    Sources:Ouest-France du 13 02-15.www.lpo.fr/actualites/morbihan-5-nids-d-hirondelles-detruitswww.hirondelles.oiseaux.net/menaces.htmlfiles.biolovision.net/www.nosoiseaux.ch/pdffiles/infos/Hirondelle_rustique-7063.pdf

    Des condamnations exemplaires (suite)

    Les BREFs, Élevage intensif de porcs et volailles : de quoi s’agit-il ?

    Les BREFs sont les documents de réfé-rence européens qui décrivent et validentune liste de Meilleures techniques disponi-bles (MTD) pour l’industrie, selon la direc-tive IED-IPPC (Integrated PollutionPrevention and Control). Les grandes uni-tés de production de porcs et volailles sontaussi concernées, les seuils étant > 750truies, ou > 2 000 porcs, ou > 40 000volailles. Le principal enjeu est l’émissiond’ammoniac.

    Le BREF « Élevage intensif de porcs etvolailles » est en révision. C’est une procé-dure longue, complexe et très techniquepilotée par la Commission européenne(Bureau EIPPCB, à Séville), dont le résultatsera approuvé par les États membres fin2015.

    Les MTD (au choix) seront obligatoires.Elles constituent un enjeu sensible pour lesprocédures d’autorisation et les réexamens(dans les 4 ans) des installations. Il fautfaire des progrès environnementaux, néan-moins la tendance est au « business asusual ».

    Globalement, le BREF applique uneméthode issue de procédés industrielsphysico-chimiques à du vivant sensible,sans prendre la mesure de la dimensionéthique. D’ailleurs, les impacts en amont eten particulier celui de la production de l’ali-ment pour les animaux, ainsi que certainsimpacts en aval des fermes ne sont pasnon plus pris en compte. Il s’agit essentiel-lement d’une méthode pour donner le feuvert à de grands élevages industriels, dans

    un contexte de compétition et d’ouverturedes frontières. Le point positif à reconnaîtreest que des systèmes alternatifs, comme leporc sur paille et les volailles en plein air,seront sans doute admis comme MTD,pour des raisons de bien-être animal ; leursémissions peuvent être très variables etsont moins bien connues.

    Les MTD concernent le logement desanimaux, le stockage et le traitement éven-tuel des effluents, et l’épandage. Les ani-maux sont donc concernés par lelogement. Pour eux, il y a quelques inquié-tudes majeures. La première concerne lesporcs. La LFDA est cosignataire d’un cour-rier envoyé aux trois commissaires euro-péens concernés, reproduit ci-après.

    AV

  • DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 11

    DROIT ANIMAL

    Courrier adressé aux commissaires européens de l’Environnement,de la Santé et de l’Agriculture

    Chers Commissaires,

    Révision en cours du BREFÉlevage intensif de porcs et devolailles

    Les organisations signataires de cecourrier sont inquiètes que le projet derévision du document de référence(BREF) des Meilleures techniques dis-ponibles (MTD) reconnaisse le caillebo-tis intégral comme MTD.

    Nous savons que le BREF ne traitepas directement du bien-être des ani-maux d’élevage. Néanmoins, noussommes convaincus qu’un système – lecaillebotis intégral – qui est préjudiciableau bien-être animal, et qui rend impossi-ble ou très difficile le respect de la légis-lation européenne sur la protection desanimaux, ne doit pas être reconnucomme MTD.

    Nous sommes particulièrement préoc-cupés par le fait que le caillebotis inté-gral empêche la conformité avec lesobligations suivantes de la directive2008/120/CE concernant les normesminimales pour la protection des porcs.

    L’obligation de mettre à dispo-sition des matériaux manipula-bles efficaces

    L’Annexe I, Chapitre I, point 4 de ladirective énonce que les porcs doivent« avoir un accès permanent à une quan-tité suffisante de matériaux permettantdes activités de recherche et de manipu-lation suffisantes, tels que la paille, lefoin, le bois, la sciure de bois, le com-post de champignons, la tourbe ou unmélange de ces matériaux ».

    Il est extrêmement difficile, peut-êtreimpossible, de mettre à disposition unequantité satisfaisante de tels matériauxsur caillebotis intégral. En effet, ce pointest régulièrement soulevé par des éle-veurs qui indiquent que les matériauxcomme la paille tombent dans les ouver-tures et risquent de bloquer le systèmed’évacuation du lisier. En conséquence,nous insistons sur le fait que le caillebo-tis intégral ne doit pas être reconnucomme MTD.

    L’abandon de la section routi-nière des queues

    L’Annexe I, Chapitre I, point 8 interditla section routinière des queues desporcs et indique que les éleveurs doi-vent, avant de sectionner les queues,d‘abord essayer de prévenir la caudo-phagie en modifiant les conditions d'am-biance ou les systèmes de conduite desélevages. La recherche scientifiquemontre que le facteur présentant lerisque le plus élevé de caudophagie estun environnement pauvre sans paille.

    En effet, l’Autorité européenne desécurité des aliments (EFSA) signaleque les facteurs en cause pour la caudo-phagie incluent : « l’absence de paille, laprésence de caillebotis et un environne-ment pauvre » (1). L’analyse des fac-teurs de risque par l’EFSA conclut que lecaillebotis intégral est le troisième fac-teur de risque pour la caudophagie,après un environnement pauvre et lemanque de paille longue. L’analyse indi-quant que le caillebotis intégral est letroisième facteur de risque pour la cau-dophagie apparaît dans l’outil de forma-tion qui a été récemment produit par leréseau d’experts européens EUWelNet(2), à la demande de la Commission.

    Apport de matériaux de nidifi-cation pour les truies

    La directive reconnaît que les truies,avant de mettre bas, éprouvent unbesoin fort d’aménager un nid avec unsubstrat approprié. L’Annexe I,Chapitre II, point B2 de la directiveénonce qu’« au cours de la semaine pré-cédant la mise bas prévue, les truies etles cochettes doivent pouvoir disposerde matériaux de nidification en quantitésuffisante à moins que le système d'éva-cuation ou de récupération du lisier uti-lisé dans l'établissement ne le permettepas ». Il est donc reconnu que le caille-botis intégral rend difficile ou impossiblede fournir des matériaux de nidificationappropriés. Il est dès lors évident que lecaillebotis intégral n’est pas une« Meilleure » technique, vu qu’il ne per-met pas de répondre à un besoin essen-tiel des truies.

    Confort physique et thermique

    L’Annexe I, Chapitre I, point 3 de ladirective impose que les porcs doivent« avoir accès à une aire de couchage

    confortable du point de vue physique etthermique ». Le confort physique et ther-mique peut seulement être atteint avecune surface déformable et isolée (litièreou matelas). Il ne peut pas être assuréavec du caillebotis intégral.

    Conclusion

    Ce ne serait pas bénéfique mais inco-hérent et source de confusion si du cail-lebotis intégral était reconnu commeMTD d’un point de vue environnementalalors qu’il rend très difficile, voire impos-sible, de respecter la législation euro-péenne de protection des animaux. Eneffet, du point de vue du bien-être ani-mal, le caillebotis intégral est la « Piretechnique disponible ». En outre, lareconnaissance du caillebotis intégralcomme MTD est en contradiction avecle programme de protection et de bien-être des animaux de l’Union euro-péenne, qui met l’accent sur laformation.

    Des techniques alternatives avec ducaillebotis partiel sont souvent considé-rées comme ayant une meilleure perfor-mance environnementale, par exempleau Danemark et aux Pays-Bas. Destechniques permettant de réduire lesémissions sont parfaitement efficaceavec du caillebotis partiel.

    Nous insistons auprès de laCommission pour qu’elle n’accorde pas,dans le BREF, la qualité de Meilleuretechnique disponible au caillebotis inté-gral pour les porcs de toutes catégories.

    (salutations)

    PS et AV

    (1) Scientific Opinion of the Panel on Animal Health

    and Welfare. (2007). The risks associated with tail

    biting in pigs and possible means to reduce the

    need for tail docking considering the different hou-

    sing and husbandry systems. The EFSA Journal,

    611, pp. 1-98. http://www.efsa.europa.eu/fr/efsa-

    journal/pub/611.htm

    (2) https://euwelnetpigtraining.org/Pages/0

    Cosignataires : La Fondation LFDA, Le Collectif

    Plein Air, Compassion in World Farming, Planète

    Vie, Eurogroup for Animals, PROVIEH, France

    Nature Environnement, BUND, Friends of the Earth

    Germany, le Bureau européen de l’Environnement,

    CIWF France.

  • DROIT ANIMAL

    12 - DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 - AVRIL 2015

    L’organisation des contrôles en protection animale

    La prise en compte du bien-être des ani-maux par nos concitoyens est une problé-matique dont l’importance n’a cessé decroître ces dernières décennies, comme lemontrent les différents sondages effectuéspar la Commission européenne (1,2), enlien avec l’industrialisation grandissantedes modes de production des denrées ani-males ou d’origine animale. La prise deconscience générale que l’animal est un« être sensible » a poussé les États mem-bres de l’Union européenne à l’inscriredans un nouvel article (3) du traité sur lefonctionnement de l’Union européennedepuis l’entrée en vigueur du Traité deLisbonne le 1er décembre 2009 (4).

    Qu’il s’agisse d’animaux de rente ou decompagnie, les activités en lien avec lesanimaux sont encadrées par diversesréglementations d’émanance européenneou nationale, et des contrôles sont effec-tués par les agents des services vétéri-naires du ministère en charge del’Agriculture afin d’en garantir le respect,dans les limites et étendue des missionsdes services dans lesquels ils sont affec-tés. En pratique, toute activité profession-nelle en lien avec les animaux estsubordonnée à une déclaration auprès dupréfet de département ou à l’obtentiond’une autorisation administrative préfecto-rale.

    Les agents chargés de ces contrôlessont listés aux articles L221-5 et L231-2 ducode rural et de la pêche maritime (5). Ainsisont désignés pour procéder à cescontrôles, qu'ils soient fonctionnaires ouagents contractuels de l'État :

    1. Les inspecteurs de la santé publiquevétérinaire ;2. les ingénieurs ayant la qualité d'agentdu ministère chargé de l'Agriculture ;3. les techniciens supérieurs des ser-vices du ministère de l'Agriculture ;4. les contrôleurs sanitaires des servicesdu ministère de l'Agriculture ;5. les fonctionnaires et les agents nontitulaires de l'État compétents en matièresanitaire figurant sur une liste établie pararrêté du ministre chargé del'Agriculture ;6. les vétérinaires, contrôleurs sanitaireset préposés sanitaires contractuels del'État pour les missions définies dans leurcontrat ;7. les administrateurs des affaires mari-times, les officiers du corps technique etadministratif des affaires maritimes et lesfonctionnaires affectés dans les services

    exerçant des missions de contrôle dansle domaine des affaires maritimes sousl'autorité ou à la disposition du ministrechargé de la Mer, pour les contrôles offi-ciels liés à la production de coquillagesvivants ;8. les vétérinaires des armées, pour lesorganismes relevant de l'autorité ou de latutelle du ministère de la Défense.Ainsi que :- les fonctionnaires et les agents non titu-

    laires de l'État compétents en matière sani-taire figurant sur une liste établie par arrêtédu ministre chargé de l'Agriculture ;

    - les fonctionnaires et les agents non titu-laires de l'Office national de la chasse et dela faune sauvage pour ce qui concerne lesanimaux de la faune sauvage.

    Ces agents sont habilités pour constateret s’assurer régulièrement : de la confor-mité des installations d’accueil aux règlesprescrites et de la compétence techniquedes professionnels travaillant auprès desanimaux, telle que validée par un certificatspécifique de capacité. Ils peuvent releverdes infractions et éventuellement dresserdes procès-verbaux pouvant conduire àdes poursuites judiciaires ou pénales dansle domaine de la protection des animaux.Ils ont également des pouvoirs de policeadministrative leur permettant d’effectuerdes rappels réglementaires, des avertisse-ments, des mises en demeure ou des fer-metures d’établissement sous l’autorité dupréfet de leur département (6).

    Les contrôles peuvent être effectuéssuite à des plaintes mais également demanière spontanée en fonction des effec-tifs d’animaux présents et des aides quipeuvent être demandées par les éleveursdans le cadre de la conditionnalité mise enplace par la politique agricole commune,qui prévoit des contrôles orientés sur laprotection animale pour les demandeursd’aide. Par exemple, dans le secteur desbovins, on compte plus de 11700 rapportsd’inspection qui ont été effectués pour les 4années 2010 à 2013 dans le secteur pro-tection animale (d’après une extraction deSIGAL – Site d’information généralisée dela direction générale de l’alimentation, quiregroupe tous les rapports d’inspectioneffectués par les agents du ministère encharge de l’Agriculture). Les contrôleseffectués au moment de l’élevage, dutransport, du transit ou de la vente des ani-maux sont effectués de manière ponc-tuelle.

    Par contre, le dispositif de contrôle de laprotection animale dans les abattoirs est unpeu différent car une inspection perma-nente sur site est effectuée par les agentsdu ministère en charge de l’Agriculture. Sila présence permanente des services decontrôle permet de garantir la salubrité desviandes en premier objectif, elle assureégalement que toutes les précautions sontprises en vue d’épargner aux animauxtoute excitation, douleur ou souffrance évi-table et ce, dès le déchargement ducamion. Ainsi, de manière générale, il estrégulièrement vérifié que le déchargementet l’avancée des animaux s’effectuent dansle calme, sans utilisation d’aiguillon et avecune utilisation raisonnée de piles élec-triques (appareil soumettant les animaux àdes chocs électriques – ASACE). Les ani-maux qui sont amenés à attendre avantleur abattage doivent être hébergés dansde bonnes conditions en termes de confortet de place et avoir à disposition de l’eau etmême de la nourriture si l’hébergementdure plus de 12 heures. De plus, les tech-niques d’immobilisation, d’étourdissementet de saignée doivent minimiser le stress etêtre rapides et efficaces. Ceci est assurépar l’utilisation d’appareils adaptés augabarit des animaux par un personnel com-pétent. À ce niveau, les agents des ser-vices de contrôle officiels vérifientrégulièrement que ces objectifs sontatteints en vérifiant par exemple que lesanimaux sont bien étourdis, en testant ladisparition de certains réflexes propres auxanimaux conscients, comme l’absence derelevé de la tête, de reprise de la respira-tion ou de réflexe palpébral (réflexe quiamène spontanément à fermer les pau-pières ou à cligner de l'œil si on touche lescils ou le bord interne de l'orbite à l'aide dudoigt). Le cas, échéant, les techniquesd’abattage rituel sans étourdissement doi-vent également être maîtrisées et rapidesafin de minimiser le stress des animaux (7).

    De plus, les dispositions du nouveaurèglement européen sur la protection desanimaux au moment de leur mise à mort (8)ont renforcé la responsabilité des profes-sionnels en prévoyant :

    - La nomination d’un responsable dubien-être des animaux dans tous lesabattoirs ;- la mise en place de procédures par lesprofessionnels prouvant qu’ils veillent aurespect de la réglementation relative à laprotection des animaux dans l’abattoir ; u

  • DROIT ANIMAL, ÉTHIQUE & SCIENCES N° 85 AVRIL 2015 - 13

    DROIT ANIMAL

    L’organisation descontrôles en protectionanimale (suite)

    - l’obtention d’un certificat de compé-tences pour les aspects de leurs tâchesen lien avec le bien-être des animauxpour les personnels d’abattoirs ;- des instructions relatives à l’utilisationde leur équipement et à la manière decontrôler son efficacité et de le conserveren bon état par les fabricants de matérield’étourdissement qui les fournissent.

    Enfin, si les agents chargés descontrôles officiels veillent au respect de laréglementation relative à la protection ani-male dans le cadre du fonctionnement« normal » des activités, ils peuvent égale-ment relever les actes de malveillance queles animaux domestiques, apprivoisés outenus en captivité, peuvent connaître et quisont prévus par le code pénal selon unehiérarchisation et des peines de sévéritécroissante allant du « mauvais traitement »à l’ « acte de cruauté ».

    ACLD

    - Arrêté ministériel du 12 décembre 1997 relatif auxprocédés d'immobilisation, d'étourdissement et de miseà mort des animaux et aux conditions de protection ani-male dans les abattoirs.- Code pénal, articles R653-1, R654-1, R655-1 et 521-1 relatifs aux contraventions et aux délits commis contreles animaux.(1) Special Eurobarometer, European Commission,Health in the European Union, septembre 2007.(2) Special Eurobarometer, European Commission,Attitudes of consumers towards the welfare of farmedanimals, mars 2007.(3) Un nouvel article 13 a été introduit par le traité deLisbonne. Cet article dispose que : « Lorsqu'ils formu-lent et mettent en œuvre la politique de l'Union dans lesdomaines de l'agriculture, de la pêche, des transports,du marché intérieur, de la recherche et développementtechnologique et de l'espace, l'Union et les États mem-bres tiennent pleinement compte des exigences dubien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles, touten respectant les dispositions législatives ou adminis-tratives et les usages des États membres en matièrenotamment de rites religieux, de traditions culturelles etde patrimoines régionaux. »(4) Journal officiel de l’Union européenne, C306, 17décembre 2007, Traité de Lisbonne.(5) Code rural et de la pêche maritime, articles L221-5et L231-2 relatifs aux agents habilités à effectuer descontrôles dans le domaine de la protection des ani-maux.(6) Lacheretz A. (2005). « Le statut juridique de l’animalau regard des lois ». Bull. Soc. Vét. Prat. De France89(2 3).http://www.svpf.fr/IMG/pdf/SVPF_T89_N23_PP_3_15.pdf.(7) Arrêté ministériel du 28 décembre 2011 relatif auxconditions d'autorisation des établissements d'abattageà déroger à l'obligation d'étourdissement des animaux.(8) Règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 sep-tembre 2009 sur la protection des animaux au momentde leur mise à mort.

    Comment se promener dans les bois…

    sans se faire tirer dessus

    Marc Giraud, Allary Éditions, 2014

    Sous ce titre, le président de l’ASPAS –Association pour la Protection des animauxsauvages, nous livre un livre remarquablerédigé en collaboration avec les juristes etles scientifiques naturalistes de cette asso-ciation reconnue pour sa rigueur et ses com-pétences. Tous les paisibles amoureux de lanature en France verront dans la parution decet ouvrage comme la réalisation enfin d’unsouhait depuis longtemps formulé.

    La France est un pays pour le moins para-doxal dans sa perception de la nature sau-vage. Il compte une quarantaine demillions de promeneurs, cyclistes, randon-neurs, cavaliers, cueilleurs de champi-gnons, photographes et artistes peintres,naturalistes et autres amoureux de la natureet qui ne s’adonnent pas à la chasse. Ce« loisir », à l’éthique pour le moins contesta-ble, est dangereux no