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Husserl Studies 21: 207–233, 2005. c Springer 2005 La Libert´ e Dans la Perception Chez Husserl et Fichte 1 OLIVIER LAHBIB Lyc´ ee Merleau-Ponty de Rochefort/mer. In spite of their opposite methods, Fichte’s deductive process and Husserl’s reduction cope with the same challenge: they aim to explain how the sen- sible world is dependent on reflixivity. As perception is generally linked with natural existence, and pure passivity, the deepest significance of tran- scendental thought in those philosophies consists in equalizing phenomenon and reflexion. In the heart of bodily life, some spiritual theme has to be found. Fichte defines action as the quantification of freedom, and freedom is effectively achieved in the sensible world. Human perception reveals free- dom altogether in corporal movements as in the surrounding world (Umwelt). The Fichtean theory of acknowledgment assumes this goal. In the same way, Husserl’s reduction explains how significance proceeds from the body (Leib). The Husserlian analysis of kinesthesis and the radical experience of the hand touching the other hand both introduce to the status of pre-reflection. However the complete resolution of the question is given by Fichte: Intelligibility may exist in the sensible world as the metaphysical concept of phenomenon (Erscheinung) in the last Fichtean philosophy expresses the idea of the Abso- lute pervading the sensible. **** Au del` a du contexte historique et des diff´ erences de m´ ethodes, Fichte et Husserl se rencontrent dans le projet de radicaliser la philosophie transcen- dantale et d’achever la r´ eforme kantienne de la philosophie. 2 Si le probl` eme transcendantal se trouve donc repos´ e avec une particuli` ere profondeur, la comparaison achoppe sur l’ ´ ecueil majeur de leur proc´ ed´ e r´ eflexif. Fichte in- vente un proc´ ed´ e d´ eductif qui consiste ` a engendrer toutes les d´ eterminations de la pens´ ee et du r´ eel ` a partir d’un premier principe. Husserl s’emploie ` a travers la m´ ethode de r´ eduction ` a d´ egager les essentialit´ es de la pens´ ee, il ne pose pas arbitrairement le principe qui engendre la connaissance, mais tente de le d´ egager r´ eflexivement. 3 L’on peut dire qu’ils saisissent la con- struction du savoir par leurs antipodes, d’un cˆ ot´ e le premier construit pour eduire, de l’autre le second r´ eduit pour construire le syst` eme des essences.

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Husserl Studies 21: 207–233, 2005. c© Springer 2005

La Liberte Dans la Perception Chez Husserl et Fichte1

OLIVIER LAHBIBLycee Merleau-Ponty de Rochefort/mer.

In spite of their opposite methods, Fichte’s deductive process and Husserl’sreduction cope with the same challenge: they aim to explain how the sen-sible world is dependent on reflixivity. As perception is generally linkedwith natural existence, and pure passivity, the deepest significance of tran-scendental thought in those philosophies consists in equalizing phenomenonand reflexion. In the heart of bodily life, some spiritual theme has to befound. Fichte defines action as the quantification of freedom, and freedomis effectively achieved in the sensible world. Human perception reveals free-dom altogether in corporal movements as in the surrounding world (Umwelt).The Fichtean theory of acknowledgment assumes this goal. In the same way,Husserl’s reduction explains how significance proceeds from the body (Leib).The Husserlian analysis of kinesthesis and the radical experience of the handtouching the other hand both introduce to the status of pre-reflection. Howeverthe complete resolution of the question is given by Fichte: Intelligibilitymay exist in the sensible world as the metaphysical concept of phenomenon(Erscheinung) in the last Fichtean philosophy expresses the idea of the Abso-lute pervading the sensible.

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Au dela du contexte historique et des differences de methodes, Fichte etHusserl se rencontrent dans le projet de radicaliser la philosophie transcen-dantale et d’achever la reforme kantienne de la philosophie.2 Si le problemetranscendantal se trouve donc repose avec une particuliere profondeur, lacomparaison achoppe sur l’ ecueil majeur de leur procede reflexif. Fichte in-vente un procede deductif qui consiste a engendrer toutes les determinationsde la pensee et du reel a partir d’un premier principe. Husserl s’emploie atravers la methode de reduction a degager les essentialites de la pensee, ilne pose pas arbitrairement le principe qui engendre la connaissance, maistente de le degager reflexivement.3 L’on peut dire qu’ils saisissent la con-struction du savoir par leurs antipodes, d’un cote le premier construit pourdeduire, de l’autre le second reduit pour construire le systeme des essences.

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Une fois pose le premier principe, l’Absolu (le Moi absolu ou Savoir absolu,– nous admettons l’interpretation d’une veritable continuite dans la philoso-phie fichteenne), dont la fonction est essentiellement teleologique, Fichteconstruit les conditions de son expression: l’acte institue l’etre. Au con-traire pour Husserl, la methode de la reduction consiste a ecarter l’inessentielpour parvenir a un residu, ce qu’il nomme parfois l’Absolu ou l’essenceconstitutive du savoir. C’est la liberte a l’oeuvre dans l’acte de connaıtrequi permet au sujet de s’extraire du monde sensible et de le prendre pourobjet.

Mais cette liberte est encore exterieure au monde sensible. Elle le prend pourobjet, mais ne se retrouve pas en lui, et reste finalement tres abstraite. Nousvoudrions depasser ce qui n’est qu’une apparence: la liberte est reinventeedans ces deux philosophies dans sa determination pleinement concrete, c’est-a-dire participant a la perception. La liberte n’est pas seulement liberte del’esprit qui met en oeuvre une methode – de reduction ou de construction,mais elle trouve son echo dans la perception. Plus radicalement, la liberte estconstitutive du percu, car elle se trouve en acte a la fois dans le monde sensibleet dans la constitution meme du sens a partir du corps. Quel contenu donner acette liberte rencontrant le monde sensible, et rapportee au corps? Elle ne peutetre uniquement, activite, mouvement, puissance de position ou de variation,il faut qu’elle soit une determination accompagnee de conscience, une ca-pacite non pas seulement intellectuelle qui prepare l’action de l’homme sur leschoses, mais aussi une intentionalite compatible avec l’existence corporelle.En un mot, nous definirons la liberte comme la puissance de se determinerindependamment de la causalite physique. Le requisit minimal pour penserla liberte dans la perception est formule: comment concilier la liberte commepuissance intellectuelle, accompagnee de la conscience de se determiner, etson incarnation dans un corps eprouvant une telle determination? Bref, posonsla question: a partir des points de vue de Fichte et de husserl, comment laliberte habite-t-elle la perception?

Nous etudierons pour y repondre comment en premier lieu la liberte dusujet connaissant eprouve ses limites dans l’experience de la perception;(nous interrogerons pour cela la pensee husserlienne des annees 1905, con-frontee a la philosophie fichteenne des annees 1800). Puis en second lieu(a partir de la problematisation des Meditations cartesiennes de Husserlet du Fondement du droit naturel de Fichte), nous montrerons commentla perception permet de nous faire rencontrer la liberte d’autrui, commeliberte d’un alter ego. Enfin, en prolongeant le dialogue du Fichte de laWissenschaftslehre 1801 et du Husserl des kinestheses, nous interrogeronsla reflexivite premiere a l’oeuvre dans le corps, experience originelle de laliberte.

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1. L’experience des Limites de la Liberte Dans la Perception

1.1. Perception et Attention Chez Husserl

La perception de prime abord ne semble pas le champ d’exercice privilegie denotre liberte puisqu’il paraıt au contraire que dans la perception nous sommesdirectement dependants de l’objet percu, et de la maniere dont il se donne anous. Il ne se donne pas a nous d’un coup, mais de facon progressive, paresquisses.4 La perception est la donation successive d’esquisses, de profilsde la chose. Elle tend vers la completude, sans l’atteindre jamais. Nous nepouvons occuper plusieurs places ou points de vue en meme temps, et la chosepercue ne se donne que peu a peu. Dans la perception, nous faisons l’epreuvede notre finitude.

Nous ne sommes pas plus libres dans l’experience de la perception, quenous ne sommes libres par rapport au temps. La donation perceptive s’exercesous la condition du flux du temps; les evenements s’ecoulent dans le flux,on ne peut inverser ce mouvement sans l’intervention de la memoire chargeede retenir les impressions fugitives. Se souvenir est la seule solution quinous est offerte pour retenir le flux des esquisses. Tel est semble-t-il l’uniqueressort de la liberte dans la perception.5 Mais immobiliser le flux temporel apour desavantage de nous faire vivre l’experience de l’inactualite, derealisantl’objet. Contrairement a la reflexion qui pretend s’approprier totalement sonobjet et le reduire a une pure determination de pensee ou le moi se percoitde facon reflexive, dans la coıncidence de la cogitatio avec elle meme, laperception ne peut embrasser le monde comme totalite se donnant a lui.

De fait, la perception en nous faisant dependre de la continuite des esquissesde l’objet exterieur, nous lie encore au monde exterieur, par la croyance quil’accompagne, en sa realite. Aussi l’attitude naıve, l’attitude commune con-siste a se fier tout d’abord a l’existence des choses donnees, sans pouvoirremettre en doute la conscience immediate du monde. Douter de ce qui nousentoure supposerait qu’on ait deja etabli un point de vue plus certain, a partirduquel se construit le doute. Il faut en un mot avoir deja effectue la reductionde l’attitude naturelle au cogito pour se permettre de douter du monde sensible.Fichte serait d’ailleurs sur ce point d’accord avec Husserl, lorsqu’il affirmeque la conscience de soi echappe au doute:

“cette immediatete de la conscience je ne puis la mettre en doute; et cetteconscience immediate de moi-meme et de mes determinations est la con-dition exclusive de tout autre savoir. Au sens strict, j’ai en cela non pas laconscience des choses, mais une conscience de la conscience des choses...”6

La position idealiste transcendantale affirme le privilege de la consciencede soi par rapport a la conscience immediate (conscience d’objet). Husserl et

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Fichte, en etablissant la verite de la conscience de soi, celle du solipsisme,contre la croyance commune en la realite du monde reposent a nouveau leprobleme du statut du sensible et du monde percu. Comment concilier la libertede pensee, puissance intellectuelle interieure au moi connaissant, et la realitedu donne sensible? Si ce qui rattache le sujet connaissant au monde sensible, nepeut etre que la perception, comment penser la perception de telle sorte qu’ellene soit pas une pure representation, une image de la realite exterieure, maisqu’elle brise effectivement la these solipsiste? C’est au coeur de la compara-ison ici menee, comme l’indique Harmut Tietjen,7 la question cruciale poseea l’idealisme transcendantal: comment au dela de la conscience de mon etreaffecte par la perception, puis -je repondre de la realite des choses exterieures,sinon en me fiant a ma perception? Il faut corriger la forme cartesienne duprobleme formulee dans la seconde meditation metaphysique, car si le passagede la perception a la reflexion ne peut s’accomplir qu’en absolutisant la veritede la cogitatio et de la conscience de soi, cela signifie que seule la spherede la cogitatio echappera definitivement au doute. Il faut au contraire quela donation ne s’effectue pas independamment du cogito, qu’elle ne soit passeulement un contenu pour une cogitatio (donc une simple representation),mais qu’elle depende de l’activite de pensee. La perception ne peut etre unedonnee exterieure a la production de sens, elle est un processus auquel par-ticipent certes le donne, ( le Non-Moi), mais aussi l’acte producteur de sens duMoi. Dans la perspective idealiste transcendantale, c’est a partir de l’activitesynthetique du cogito que la diversite des esquisses semble s’organiser, defacon consciente, et que le monde percu obtient pour nous du sens.

La constitution du sens par le sujet, dans sa forme husserlienne, s’exercesous la forme de l’intentionalite. La conscience n’impose pas un sens arbitraireau monde sensible, mais sa tache consiste a laisser s’unifier et se regler lesesquisses, dans l’ordre de leur production. Pour cette raison, le role du donnen’est pas neutre. Le donne dont on parle n’est pas le transcendant8 au senshusserlien, c’est-a-dire l’existence des choses saisie independamment de notrevisee, l’etre en soi des choses, mais la hyle que nous percevons, qui participea l’experience de notre corps, est le vecu meme de notre corps percevant.Ici c’est bien sur le corps sujet dont il est question. La preuve absolumentconcrete en est donnee par les perceptions kinesthesiques, qui montrent lerole constitutif des mouvements du corps-sujet, dans son vecu immediat,pour notre perception du monde. En ce sens, les perceptions kinesthesiquessont la source du donne, au sens ou c’est notre corps qui porte le contenuhyletique, et elles refletent par la-meme notre pouvoir corporel sur le mondeet ses limites. Sous ces conditions, la perception est liee a l’action, on percoitle monde la ou il est – tel est le motif de l’intentionalite – et en meme temps quel’on percoit, on se prepare au mouvement et a l’action dans ce monde percu.9

De plus, agir suppose la confiance dans les perceptions que nous avons dumonde; cela justifie de facon pratique notre croyance fondamentale au monde,

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croyance dont le statut est alors celui de l’Ur – doxa.10 Ce qui veut dire quetoute intention de reflexion n’a lieu que sur le fondement de la comprehensionprealable du monde, le sujet ne surgit pas brusquement dans le monde, il croıt,se developpe, et s’apprend lui meme dans son environnement.11 Le mondeapparaıt pour une liberte corporelle, ou plus modestement une mobilite dejaadaptee au monde environnant. D’ailleurs, la decision meme de modifier lemonde par l’action renvoie a une motivation qui confirme cette croyance nonexplicitee. Il semble difficile de dissocier dans le domaine du prereflexif laliberte et les conditions de son apparition.

L’experience premiere de notre liberte est celle du corps dans le champspatial. L’espace est percu comme la condition premiere de notre mobilite. Laperception ne nous offre pas des objets detaches sur le fond du monde, maisc’est fondues dans le champ spatial que les choses nous sont presentes. D’apresles Lecons sur chose et espace (1907), l’espace est pour nous immediatementcomme “champ sensoriel,” ou encore “etendue pre-empirique,”12 en tant qu’ilest la condition d’apparition de tout objet d’experience. La chose que nouspercevons, a lieu avant que nous la percevions dans ses divers details, dans une“extension originaire pre-empirique.” Le champ sensoriel est par definitionhomogene, il precede en cela le vecu qualitatif, qui n’est pas comme chezKant un chaos qui viendrait s’organiser dans l’unite d’une forme.13 L’unitespatiale est la condition pour que la diversite hyletique ait elle-meme lieu dansla continuite de la perception. On comprend que le deplacement du corps,son organisation de l’espace soient originellement “accommodes” par l’unitepropre du champ spatial. La liberte des mouvements du corps est prolongee parcette unite. Mais si l’action est l’occasion pour la liberte de produire un mondequi lui ressemble, c’est aussi que la liberte trouve dans le monde perceptif lemoyen de s’objectiver, c’est-a-dire d’apparaıtre de facon bien definie.

On est loin cependant de l’acte premier de position du Moi chez Fichte,qui n’est pas un acte de position corporelle, mais un acte de fondation intel-lectuelle. La tache qui incombe a Fichte, c’est de deduire la necessite d’uneexistence physique de la liberte et donc la determination des limites de celle-cidans le monde, a partir de l’exigence premiere -metaphysique- de la liberte.

1.2. La Constitution de L’espace a Travers L’action Chez Fichte

Interrogeons a titre de comparaison apres ce bref resume de l’approchehusserlienne de la liberte dans l’espace percu, l’effort fichteen pour penser ladetermination de la perception par la liberte. Fichte se donne pour tache deconstruire, a partir de l’affirmation premiere de la liberte du Moi les condi-tions de realisation de cette liberte dans le monde de la perception. Si le pointde depart de Husserl est bien l’experience de la perception ou la liberte prendconscience de ses limites et ou il lui faut presupposer une pre-significationcharnelle du monde, Fichte lui, tout au contraire, part non pas de la perception,

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mais de l’acte inaugural et libre du Moi. Le Moi pose a partir de l’exigencede sa propre liberte, la necessite d’un champ d’exercice ou de realisation poursa liberte.

Comment l’action donne-t-elle lieu a une perception ou constitue la percep-tion selon ses requisits propres? Nous nous appuierons sur la Wissenschaft-slehre 1801. La liberte originelle se determine, autrement dit dans le langagefichteen, elle se quantifie; elle s’explique ou se developpe dans une seried’actions. C’est en entrant dans des limites que son pouvoir absolu originairetrouve une determination, un contenu particulier. La liberte absolue, le sur-gissement originel se determine dans une quantitabilite. La quantitabilite estla forme d’expression de la liberte qui n’apparaıt pas d’une facon abstraite ouabsolue, mais dans les limites selon lesquelles des actes reels sont produits.La liberte comme activite absolue se divise selon des “quantum d’actions”.Dire que la liberte a lieu, c’est dire qu’elle “occupe un terrain ,” qu’elledetermine effectivement quelque chose. L’oeuvre de la liberte est d’abord sonexteriorisation, et pour cela, il lui faut un domaine d’operations, mais il fautaussi, qu’en ce domaine, elle puisse persister. Observons ces conditions dedetermination reelle. L’unite de l’espace conditionne toute action s’inscrivantdans l’exteriorite. L’unite de l’espace est la condition de toute exteriorisationde la liberte, comme contenu propre de l’ action. Aussi, dans l’espace, s’agit-ila la fois de connaıtre la liberte et la continuite de cette liberte. Le theme dela divisibilite a l’infini, deja esquisse en 1797,14 repris en 1801, est garantde notre liberte a la fois quant a son pouvoir sur l’espace et la matiere; unefacon simple de l’exposer est l’exemple rencontre dans l’experience com-mune: l’acte de tirer une ligne. L’idee que le point se continue, et se produitlui-meme comme ligne, illustre l’idee de la liberte qui soumet l’espace a sadetermination.

En effet, peut-on engendrer l’espace a partir de la repetition de la quan-titabilite d’un acte de position. Le point engendre-t-il la ligne? Commentassumer la continuite de ces positions ponctuelles? La continuite du pointet de la ligne ne semble pas produire l’espace comme un continu premier(originaire), d’ailleurs comment donner du credit a la these de la divisibilitede l’espace, si justement l’espace est toujours d’etre en voie engendre a partirde la repetition des actes ponctuels de production? La continuite est assureepar ce que Fichte nomme la compacite (Gediegenheit).15 La compacite (ousolidite) est le resultat du flottement de l’intuition du Moi, c’est-a-dire de sonacte et de la vision de son acte, ou les moments au lieu de disparaıtre, trou-vent leur unite dans un produit qui perdure en face du Moi. Le Moi produitainsi la solidite du temps, ou la consistance de vision qui lui fait face, commecondition de la connaissance de son acte.

La compacite rend possible a la fois la concretion et la discretion. Com-ment expliquer que la liberte prenne un contenu “solide,” dans la realite del’intuition, dans la continuite et tout de meme dans la discretion? La perception

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de l’espace suppose d’abord sa construction selon les exigences de la liberte;son affirmation dans la concretion des moments et ensuite dans leur possibledivision. S’il y a liberte a l’oeuvre originellement dans la perception, c’estd’abord que la liberte est proprement creatrice, creatrice des conditions dela perception. L’epreuve de tirer la ligne est ce par quoi l’acte de concretiserdoit devenir concretion et continuite des moments. Il permet de passer de ladiversite des points a l’unite de la ligne. Dans l’espace, la liberte s’identifie al’agilite du point.16 Cependant qu’est-ce qui est divise? C’est non pas l’espace,mais la matiere:17“La matiere est inconditionnellement divisible, sans qu’ellene se dissipe en rien. Ce qui la tient est l’espace continu a l’arriere plan. . . ”. De meme, ce qui assure cette unite, c’est moins l’espace que l’unitedu temps qui poursuit l’effort, qui permet la repetition des points. L’espaceet le temps coıncident pour permettre le savoir comme unite des points etde leur conscience,18 -le savoir comme synthese des informations se trouvea l’horizon du tracer de la ligne. Les conditions de l’action preparees par laperception deviennent les instruments de la liberte.

L’experience du probleme de la divisibilite a l’infini de l’espace ou-vre, comme le montre la suite des travaux de Fichte, sur la conception del’activite libre dans la perception. Percevoir la liberte, c’est percevoir uneauto-limitation dans le rapport entre l’ interieur et l’ exterieur;19 finalementc’est notre pouvoir qui est infiniment divisible. Encore une fois, le themede l’auto-limitation est repete en 1800 dans la Destination de l’homme.20

L’homme ne percoit pas seulement les limites des corps, mais grace surtouta la connaissance de l’objectivite du corps il eprouve de l’interieur ses pro-pres limites. Cette epreuve de la resistance produit a la fois le sentiment et laconscience de la puissance de l’autre, de sa presence et de son action. Aussila perception prend-elle une nouvelle dimension, car non contente d’ouvrir lechamp de la liberte dans ses effets concrets, elle nous donne aussi le moyen dedecouvrir le corps non pas objet, mais sujet. La decouverte de l’autre commesujet s’effectue a la condition que son corps affecte mon existence corporelle.A travers cette rencontre a lieu la reconnaissance reciproque des libertes, parla mediation de la reflexion des intentions les unes sur les autres. C’est laliberte de l’autre, qui tombe dans le monde de la perception, qui me donnela mesure de ma propre liberte, mais pour cela, il faut que se trouve depassel’interdit kantien empechant que la liberte puisse s’exterioriser, qu’elle puisseetre phenomenalisee, en un mot qu’elle devienne sensible.

Si la perception semble concerner davantage le reel dans son objectiviteque la liberte, la question la plus radicale qu’on puisse poser est alors cellede la perception de la liberte, la possibilite que la liberte devienne objet deperception. Les deux philosophies, avec leurs methodes et points de departdifferents, sont conduites a reposer la question de la phenomenalisation dela liberte, et cela que l’on parte de la liberte comme exigence premiere, ouqu’on la reconstitue a partir des kinestheses.

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2. Le Theme de la Reconnaissance et la Perception de la Libertede l’autre dans son Corps

Mon corps est le centre du systeme de la perception. La perception saisitla liberte a la source de son expression. Mais cette perception est impossi-ble sans l’auto-limitation premiere du rapport du corps et du moi commevolonte. Ma liberte pose les reperes du systeme sensible dans lequel je metrouve, mais cette liberte est elle- meme sensibilisee par mon incarnation.Je prends ainsi conscience du pouvoir de determination, appele liberte, pou-voir irreductible a la causalite physique elle meme a l’oeuvre dans le corps.Mais cette liberte, j’en fais aussi l’epreuve dans le corps a travers la sensationdes resistances vecues dans tout acte physique. De cette facon precisement,je percois dans mon corps une liberte que le corps d’autrui m’evoqueaussi.

2.1. L’Intersubjectivite dans la Cinquieme Meditation cartesiennede Husserl

Pour Husserl, le projet de la Cinquieme Meditation Cartesienne sembled’abord contredire les precedentes Meditations qui aboutissaient a renforcerl’idee d’un solipsisme transcendantal. Mais a contrario ecrit Husserl, “par ex-emple, je fais l’experience des autres, en tant qu’ils sont effectivement, dansune multiplicite d’experiences changeantes et concordantes, et ce, d’une partcomme objets mondains, non comme de pures et simples choses naturelles”.21

Ainsi si autrui n’est pas pris pour une chose dans ma perception, mais pourun alter ego,22 c’est que je fais en moi l’experience de l’alterite.23 Je fais doncl’experience d’un monde ou autrui est deja, car je puis l’experimenter commeautre. La visee mienne du monde comprend la visee d’autrui. Comment monexperience du monde peut-elle etre une experience commune du monde?

La solution est decrite par la notion d’empathie: “le probleme est doncd’abord pose comme un probleme special, precisement celui du “la-pour-moi des autres,” donc en tant que theme d’une theorie transcendantale del’experience etrangere, ce qu’on appelle empathie.”24 Pour saisir le vrai sensde l’empathie, il faut poursuivre la reduction: je dois mettre entre parenthesesl’objectite de l’autre. Il ne suffit pas de faire abstraction des autres, dans unsolipsisme absolu. Si j’accomplis comme il le faut cette reduction, le sens demon etre est reelabore.25 Il faut que je quitte mon ego solipsiste, pour devenirego-reflet de l’autre. Cependant ce moi dont je suis le reflet ou l’echo n’estpas proprement ego comme mon ego, c’est un alter ego. L’acces a l’alteritechez Husserl suit bien une voie qui est d’abord conforme a la reconnaissancede ce que sera autrui comme autre. Il s’agit de saisir l’alterite de l’autre,de penser notre ouverture sur le monde qui est en meme temps le monded’autrui, un monde ou je ne suis pas seul. Cependant autrui est pose et son

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ego est derive du mien par analogie: “selon son autre sens constitutif, l’autrerenvoie a moi meme, l’autre est un reflet de moi-meme, et pourtant il n’estpas proprement un reflet: un analogon de moi-meme, il n’est pourtant pas unanalogon au sens habituel” ; mais l’alter ego est ici comme analogon de l’ego.L’experience de l’autre me revele en ce sens ma propre constitution, elle estune forme de seconde naissance, accompagnee de conscience:“La naissancephenomenologique est toujours co-naissance . . . La vraie naissance est au fondla seconde naissance, la donation de l’autre comme chair requerant que je soismoi meme ne a moi meme comme corps, que j’ai fait par l’autre naıtre enmoi meme l’autre que moi”. 26 La fonction de la reduction intersubjective neconsiste pas seulement a l’elucidation des conditions de la donation d’autrui,mais elle joue aussi le role de miroir de ma propre constitution. La temporaliteet l’imagination sont les deux epreuves radicales ou se decouvre en moi unealterite a moi meme, ou un autre moi naıt en moi meme:

“De facto je me suis dans le cours de ma vie beaucoup transforme et jeme transforme encore, je suis donc toujours a nouveau un autre, mais jesuis le meme se transformant. Or, je puis aussi me representer comme metransformant de facon tres diverse et me representer comme etant un autre,charnellement et spirituellement”.27

Ce sont les deux paradigmes d’elucidation de l’experience de l’autre.Pourtant mon present vivant ne peut etre le meme que celui de l’autre,l’individuation du moi requiert que chacun ait son propre flux temporel au-tonome de vecus. La co-presence originaire se nomme “Mitgegenwart.”

Ce que vit autrui est immediatement rapporte au Non-Moi:28 autrui se con-fond d’abord avec le monde, avec le Non-Moi. L’enjeu du developpementhusserlien est de penser la liberte a partir de cette exteriorite anonyme.L’experience originaire de soi-meme, “premier concept de la sphere du pro-pre ou primordiale en tant qu’experience de l’originalite,” est opposee a uneexperience hyletique, le materiau du vecu qui n’est pas le mien. La hyle etindispensable a la definition du Moi, pourtant elle est l’heterogene29 orig-inaire. Elle pose une serieuse difficulte au Moi qui la constitue dans sonidentite, mais qui la recoit comme etant pre-donnee. Le Moi se constituedans cette dependance, il s’approprie lui meme a partir d’elle. La pre-hyleest son materiau constitutif, son soubassement passif pour toute activite.30

La passivite premiere du Moi qui se recoit lui meme avant de se constituerde facon active, avec l’aide de la temporalisation de soi, doit servir d’appuipour une autre constitution de soi, volontaire, ou l’initiative viendrait de laposition meme de l’ identite produite. Pour cela le sujet peut s’imaginer luimeme autre qu’il n’est; j’ai deja conscience d’une partielle alterite a moimeme dans le temps, je dois modifier la visee de ce qui m’est donne, etm’inventer un autre moi. Husserl peut introduire la distinction entre l’alterite

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a soi meme par Fingierung (“sich anders fingieren” ou “fiction de soi-meme” )et l’imagination d’un autre sujet, un deuxieme sujet devant moi. Mais commel’ecrit N. Depraz, “s’imaginer autre que soi meme, ce n’est pas imaginer unautre que soi,”31 l’invention d’un autre soi meme, ne consiste pas a produireun autre moi authentique et complet:“ce moi de l’imagination n’est pas enquelque sorte un deuxieme moi”(. . . ) “. . . a proprement parler j’aurais par lameme un moi de deux especes. Le moi effectif et l’autre moi, a savoir le moipossible de l’imagination . . . ”.32

Nous retrouvons sous l’appellation d’Umfiktion, une autre forme de lavariation eidetique. Il s’agit de se modifier soi meme en faisant varier cer-tains caracteres du Moi.33 Mais par la quelque chose de nouveau est invente,nous trouvons le moyen de sortir du moi, et de construire sur le modele dela variation egoıque un acces a autrui.34 Dans cette description de la fictionde soi meme, de soi meme comme different, qui permet le passage a autrui,comme veritablement autre que soi meme, nous supposons que nous pou-vons etendre notre experience intime a un autre etre qui dit Je. Une tellepresupposition, on l’a vu precedemment, suppose l’idee d’une communautede la chair. Donc la variation fictionnelle n’aurait pas de sens si elle ne valaiten meme temps comme reduction intersubjective. C’est-a-dire que la fictiond’un Moi modifie ouvre la reduction du Moi a sa communaute avec lui memeen tant que ce “nouveau moi” pouvait etre different. Me modifiant moi meme,j’etablis entre moi et moi meme modifie, une communaute charnelle. Mon“double” est construit sur l’extension de mes propres impressions, en celaje definis une subjectivite profonde qui peut etre partagee. On pourrait re-procher a un tel mode de penser la difference a partir de l’identite, je puisfeindre d’etre different de moi meme, parce que je reste toujours le meme,sans me separer de mon egoıte. En realite, la reference a la chair, commu-naute de mes deux Moi(s) est gratuite et vaine. Car, dans ce cas, l’autre est lememe.

Nous observons que sur ce point Husserl ne depasse guere les intuitionsfichteennes developpees a propos du probleme de la reconnaissance, meme siles conditions de leurs formulations sont differentes.

2.2. L’ intersubjectivite chez Fichte

Justifions pourquoi la question de Fichte semble effectivement anticiper di-rectement le probleme de l’intersubjectivite tel qu’il se posera a Husserl.L’acces a autrui a lieu dans une experience qui outrepasse les limites du solip-sisme. Nous avons, avec Husserl, opere la reduction intersubjective et nousdegageons maintenant une couche d’experience plus originaire que la simpleconstruction de l’objectivite. L’analogie assimilatrice ne me donne pas autruicomme un objet different de moi, mais le mouvement d’autrui me renvoie ama propre experience corporelle, celle de l’effectuation de ma liberte.

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Chez Fichte, on le sait, la reconnaissance d’autrui dans le Fondement duDroit naturel s’appuie egalement sur la perception du corps de l’autre commeintuition de sa liberte. Son corps agile et “intelligent” est le miroir de ma propreexperience interieure. Il faut donc passer par le moment de l’objectivite, le con-stat d’une resistance, pour que mecaniquement me soit renvoye le temoignagede la liberte en acte dans le corps d’autrui. L’objectivite doit etre depassee,comme chez Husserl, cependant elle n’est pas un obstacle, mais bien plutotla condition de la reconnaissance de la liberte dans le corps. Chez Fichte,l’experience de la liberte est toujours une experience des limites. En ce sens,elle nous permet de rencontrer autrui sur le mode du conflit, plutot que sur lemode de la fusion.

Le probleme de Fichte est en cela different, car il s’agit pour lui de penserla legalite des rapports entre les hommes et fonder l’objectivite du Droit; aussile choc (Anstoss) des libertes est-il premier. La personne definie par la spherede sa liberte35 s’oppose aux autres etres doues aussi de liberte. Qu’est-cedonc ici, d’abord, que le sujet? Manifestement l’instance qui agit purementet simplement en soi-meme et sur soi-meme, l’instance qui se determine soimeme a penser un objet ou a vouloir une fin. La personne est libre et posedevant elle la sphere de sa liberte, elle doit pour cela perseverer dans sonetre. Elle pose la sphere de sa liberte comme subsistant devant elle commedans l’espace. Ses possibilites comme la sphere de sa liberte sont identifieesa son corps.36 Radicalement Fichte definit le corps comme le domaine dela liberte, ou s’exprime un vouloir. On peut meme dire que le corps est lesignifiant pour un signifie qui serait sa volonte. En effet, par ses mouvementsle corps symbolise des fins, une lecture de la liberte est ainsi possible a traversle discours exterieur animant les membres du corps. Cette signification alieu dans la composition du corps comme un tout dont les parties sont enmouvement. “Cette constitution specifique d’un corps s’appelle articulation ,”ecrit Fichte.37

L’individu, dans sa particularite, temoigne qu’une causalite s’exerce surlui:

“car l’etre raisonnable comme cela a ete demontre, ne peut se poser quecomme individu; s’il pose une influence exercee sur lui-meme, il s’agit parconsequent, necessairement, d’une influence exercee sur l’individu, dansla mesure ou il n’est, ni ne peut etre, pour lui meme rien d’autre qu’unindividu”.38

Comment la liberte d’un individu peut-elle etre entravee, sinon par le faitque son activite causale residant dans le corps soit empechee. La conscience del’entrave suppose la conscience de la possibilite d’une action. Pour que l’actionsoit effectivement entravee, il faut que la personne renonce a la possibilitequ’elle voulait mettre en oeuvre. Ce qu’elle ressent comme limite, elle ne

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l’attribue pas a son etre, mais a une influence exterieure. Elle subit l’influenceen reproduisant interieurement la forme de la contrainte qui s’exerce sur elle.39

C’est donc le corps humain qui imite – pour le percevoir- le monde exterieur.A partir de ce qu’il percoit, le corps ne peut produire du sens qu’en revivantinterieurement ce qui vient de l’exterieur. La perception est interiorisation,reeffectuation sous la forme de la liberte interieure, de ce qui est exterieur.40

L’individu preserve-t-il aussi radicalement sa liberte?Fichte affirme que la perception ne peut avoir lieu sans une liberte

presupposee.41 Il decrit ce rapport comme celui de “l’organe superieur” etde “l’organe inferieur”: l’organe inferieur comme la puissance du corps ou-verte sur l’exteriorite, et l’organe interieur comme pouvoir de “recuperer”sa liberte dans la perception. Cette liberte interieure qui se reapproprie lesexperiences des influences exterieures est liee directement a l’alterite. Fichteexplique (toujours dans le Fondement du droit naturel) que le pouvoir dusujet percevant s’auto-limite dans l’operation de reprise, et -celle decriteprecedemment- d’imitation de la fin visee par un autre etre. Il percoit etainsi reconnaıt une intention. Pourquoi un etre libre qui voit sa liberte limiteesuppose-t-il necessairement que cette limitation est due a l’acte d’un autre etreraisonnable? D’abord ce qui limite ma liberte est dependante d’une matiereexterieure.42 Je sais a partir de la, par l’experience du caractere articule demon corps qui lui permet de realiser sa puissance, que “le corps de la personneexistant en dehors de moi est constitue de la meme matiere”.43

Entre Fichte et Husserl, sur la question de la reconnaissance de l’autrecomme corps anime par une liberte, la comparaison semble donc autorisee,sans volonte exageree de confondre les problematiques: la reproduction parmon etre de l’influence exterieure annonce deja chez Fichte ce que seral’analogie assimilatrice chez Husserl,44 puisque de cette facon, je vis dejace que l’autre vit, ici d’abord sous la forme de l’imitation contrainte, c’est-a-dire en creux, avant de le vivre positivement en reconnaissant dans la formearticulee du corps de l’autre, le signe de sa liberte. Mais le corps de l’autreest effectivement signe de sa liberte a la seule condition que le mouvement ducorps articule ne se ramene pas a une determination instinctive comme cellede l’animal, mais a une indetermination humaine et libre. La “determinabilitea l’infini” de l’articulation est ce qui caracterise le corps humain, commele montre l’ exemple de la danse. Ainsi c’est dans l’aspect du corps memeque sa determinabilite et sa liberte se montrent. Notre regard est capable dereperer dans le monde perceptif la liberte comme une donnee premiere. Nouspercevons a travers le corps, comme en temoigne la recherche de Schiller con-temporaine de Fichte, le signe de sa liberte,45 et de ces signes nous concluonsa l’existence d’une liberte semblable et pourtant exterieure a la notre, cellede l’autre homme:46 Cette reconnaissance de la liberte de l’autre a partir deson corps ne forme-t-elle pas un cercle, puisqu’elle admet a son principe unedefinition de l’homme, comme liberte? Pour echapper au cercle, il faut etablir

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que la liberte se realise dans le corps, mais que cette presence immanente sejustifie par son efficace libre.47

La definition du corps comme corps sujet, corps propre est infinimentparadoxale: le corps propre est a la fois produit naturel, donc appartenant aumonde des objets, mais il est aussi determinable, et manifeste par ses mou-vements, ses gestes, une liberte dans le sensible.48 En tant qu’il est “quelquechose de simplement trouve, il est nature ,” mais ce corps, en tant qu’il sepercoit dans le monde sensible, est aussi l’instrument de determination orig-inelle selon lequel le monde sensible s’apprete a etre percu. Il a la capacitede s’ouvrir a la perception de la liberte (de l’autre), precisement parce quec’est dans la perception de son propre pouvoir-d’articuler qu’il s’est renduattentif a la liberte. A partir du corps comme etre naturel, Fichte amorce lapresentation du corps comme organe de la liberte: c’est dans et par la percep-tion que le corps s’exprime comme puissance de liberte. Un rapport intime aete etabli entre la perception et la liberte,49 entre le domaine de la passivite etle domaine de l’activite, ou pour le dire encore autrement, entre le sensible etl’intelligible.

Le corps-sujet est anime par la liberte. Celle-ci ne reste pas exterieure, maisle corps est la forme premiere d’expression de la liberte. Tel est le resultatle plus evident de la confrontation de Fichte et de Husserl sur le theme de laperception. Cependant l’identite immediatement vecue de la liberte et du corpsn’est pas encore suffisamment etablie, car jusqu’a present, c’est par le moyend’une mediation reflexive que nous avons conclu a une telle presence libredans le sensible. Nous nous situons encore sur le mode de la representation,ou de la reflexion exterieure. La radicalisation de la demarche husserlienneveut que l’on se passe des reperes objectifs qui distinguent les corps et leurspossesseurs. Il nous faut approfondir l’exercice de la reduction intersubjectivepour manifester une liberte pleinement et directement a l’oeuvre dans le mondeperceptif: la capacite du corps-sujet d’eprouver la liberte comme retour de sonpropre acte sur lui-meme, reflexion de son propre acte.

3. La Reflexivite Originaire dans la perception

3.1. Le Theme Husserlien de la Chair

L’etrangete se dessine sous la forme de la perception du corps de l’autre,anime par des sensations partagees (ou plutot analogisees). La chair representel’approfondissement de l’experience du corps. Le corps est designe commecorps propre ou chair(Leib), au sens ou il n’est pas saisi de l’exterieur, commecorps objet, comme chose, comme instrument, mais vecu de l’interieur. Ilressent en lui la presence du monde, avant l’opposition de la subjectivite et del’objectivite, de l’interiorite et de l’exteriorite. En cela l’experience de la chair

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precede l’experience de la difference des corps, de mon corps et du monde. Lachair decrit l’experience commune de notre appartenance au monde, elle decritcette experience du Nous originaire deja mentionnee. Mais surtout la chairexprime, comme Merleau-Ponty50 l’a montre, l’unite du sentant et du senti,la constitution du corps comme “etre a deux feuillets”, sa sujet-objectiviteprimitive. Il porte en lui l’alterite, non pas de l’objet, qui impliquerait commechez Fichte la determination de la reflexion, mais l’alterite de la chair del’autre

La chair de l’autre est le moi etranger.51 La nouveaute de cette analyse estque la perception de la chair de l’autre ne peut se contenter d’etre perceptiond’une autre vie animale, mais doit etre perception d’une chair habitee par laliberte. Pour que ma chair puisse me communiquer l’impression de la libertedans la chair d’autrui, il est necessaire que s’opere en acte une reduction,52

reduction sans doute inconsciente (par analogie) qui a lieu quand je dis: “jepeux, tu peux.” C’est dans la perception du Je peux,53 dont l’echo est pro-fondement intime, c’est-a-dire dans la disposition interieurement eprouveea me tourner, a me diriger vers un objet, que j’eprouve interieurement laliberte que je reconnais ou plutot que je pressens dans la chair de l’autre.Les sensations du mouvement, les kinestheses, et les differentes synthesesqu’elles impliquent entre les differents sens sollicites, completent la theoriede l’analogisation. La chair de l’autre, comme humain, m’est donnee a traversla sensation interne de ma propre liberte, dans les mouvements de mon corps.A partir d’un mouvement du corps, se nouent en meme temps les relationsentre de nombreuses consequences passives secondaires, en meme temps quemon corps s’anime, le monde lui-meme s’anime a sa facon, de nouvelles per-ceptions ont lieu, qu’il faut relier a l’etat precedent du monde ; le monde toutentier de la perception est modifie par la liberte ressentie dans la potentialitede mouvements que le corps eprouve, mais cette liberte affecte le corps luimeme.

3.2. La Liberte Dans Les Sensations Kinesthesiques

Les sensations de mouvements ou kinestheses54 ont lieu dans toute perceptiondans la mesure ou l’effectuation de la perception suppose que le corps soiten mouvement . . . En cela, le proces de perception implique “un proces deconstante prise de connaissance qui garde au sens ce qui a ete appris et ainsicree un sens toujours a nouveau change et toujours plus enrichi”.55 En memetemps que l’objet nous apparaıt dans une suite d’intentions et de remplisse-ments, sans jamais donner lieu a une presence close, le corps developpe desmouvements et des sensations de ses propres mouvements. “Le corps vivantco-fonctionne constamment en tant qu’organe de perception; en cela il formeen soi-meme, a nouveau, tout un systeme d’organes de perception accordesl’un a l’autre”. Le corps percevant, le corps propre56 se deploie sur l’etendue

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des differentes formes de sa perception. Dans la perception se produit la per-ception de mon corps, comme corps mobile libre qui suit par exemple desyeux un objet percu. Le mouvement de mes yeux produit “telles ou tellesapparitions visuelles (se deroulant) conformement a ce mouvement, dans unordre determine ; si je laissais les yeux se mouvoir dans telle ou telle autre di-rection, alors ce seraient des suites d’apparitions differentes et correspondantaux attentes qui se derouleraient”.57

Cela ne revient pas seulement a dire que le corps percevant, a traversle role de la mobilite sensorielle58 parvient a agir sur la constitution memede l’apparaıtre spatial, et par la-meme le structure; en effet “si j’imagine uncentaure, je ne peux pas l’imaginer autrement que dans une certaine orientationet dans un certain rapport avec mes organes des sens: il est a ma droite, ils’approche, ou s’eloigne de moi .” C’est bien le corps-acteur qui definit lecentre de la spatialite, les directions et les orientations dans l’espace.59 Maisces dimensions sont donnees par le corps propre doue en outre de mobilite. Parla, l’analyse des phenomenes kinesthesiques montre l’experience premiere dela liberte dans la sensation.60 C ’est la liberte du corps, comme liberte d’unpouvoir eprouve par rapport a l’ordre possible des perceptions. Cette liberte semanifeste aussi par le fait que les kinestheses servent a localiser nos sensationsdans notre corps, donc manifestent aussi notre attachement au corps.61

Cette liberte dans le sensible, sous la forme du “je peux” qu’eprouve lecorps propre, prend enfin une forme reflexive dans le phenomene de la mainqui touche la main. Le corps comme corps physique se distingue des corpsphysiques. Il apparaıt comme corps sentant, donnant naissance a des senti-ments. La main touche la main.62 Husserl decrit dans cette experience l’auto-affection de la chair (du corps propre), le mouvement d’une main sur l’ autremain manifeste l’impossibilite de distinguer le touchant et le touche. Cetteexperience de la reversibilite n’est pas une experience a proprement parler dereflexivite, comme l’ont ajoute des traducteurs des Meditations cartesiennes.63

Car il n’y a pas de sujet et d’objet, mais une reciprocite du sentir. On ne peut pasdire que la liberte du Je peux produise la reflexion du corps sur lui meme. Juste-ment cette reflexivite paraıt problematique.64 La limite de la theorie husserli-enne semble se trouver dans l’impossibilite pour Husserl de penser la libertecorporelle ou charnelle dans sa dimension reflexive, meme dans le cas de lamain qui touche la main, puisque le rapport a l’exteriorite est incompletementgomme. Nous ne desirons pas suivre la radicalisation offerte par Michel Henryde cette experience, car la reflexivite pretendument eprouvee par le corps nepeut se resoudre dans la pure epreuve de la Vie, comme surgissement absolu,qui aurait lieu par soustraction de l’intentionalite. Le “souffrir primordial”65

dont parle Michel Henry est l’auto-affection de la volonte, mais elle n’a pas ladimension reflexive de la liberte, de la scission ou de la dualite qui engendreles conditions d’une liberte consciente,66 au sens ou la liberte se sait toujoursdifferente des determinations du monde sensible. La condition de possibilite

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de la reflexion est toujours extra-posee dans la perception d’un autre corps.Une effective reflexivite a l’interieur du corps se heurte chez Husserl a ladecomposition de la structure du sujet et de l’objet.

Ce resultat nous invite a chercher maintenant chez Fichte comment laliberte peut etre veritablement situee dans le corps, en tant que le corpsest lui-meme structure de facon reflexive, comme reflet du mouvement dephenomenalisation. Certes, comme nous l’avons vu, dans un premier temps,l’analyse fichteenne ne semble pas aller au-dela de ce que Husserl a pensea travers la question de l’analogisation et de la reconnaissance. Mais nousinterrogerons la these fichteenne plus tardive, celle qui deduit l’individu danssa corporeite a partir du processus d’expression de l’Absolu, et qui le saisitdans sa reflexivite propre.

3.3. Le Corps Comme Reflet de L’Absolu Chez Fichte

Le parallele semble fonctionner strictement, avec cette nuance: le pouvoirreconnu a la perception d’organiser le monde implique une vision de la natureou le corps propre n’est que le revelateur de la valeur intelligible de la nature;si le corps anime organise la nature, c’est que l’intelligibilite qu’il lui apporten’est pas exterieure a la nature, mais deja presente en elle. La structure ducorps propre comme tout organise se communique au monde exterieur. Il fautcomprendre en cela que l’articulation de la liberte dans le corps devient lemodele constitutif de la connaissance de la nature. La liberte est le principe dela connaissance de la nature,66 en tant que du point de vue methodologique,c’est elle qui s’oppose le Non-Moi. Le point de vue ontologique consiste en ceque le corps rencontre la realite, comme resistance a ses mouvements libres.

Le fait que Fichte admette une forme de reflexivite du corps dans l’ordrenaturel semble devoir beaucoup a l’influence de la philosophie de la naturede Schelling. En effet, Fichte place le corps libre au coeur du Tout naturel,comme une partie qui communique avec lui.68 Partie du monde naturel, l’etreindividuel est libre et participe au tout organise, et le tout organise participede sa liberte. Ce monde sensible existe a partir de la liberte, commele toutdans lequel elle prend place. Fichte, pour definir ce rapport de connexion et departicipation, parle “d’action reciproque”. Le monde sensible n’agit pas surla liberte de l’individu de facon neutre et exterieure, mais ce qui sollicite maliberte comme liberte est d’abord une autre liberte.69 Et s’il fallait remonterau principe de cette sollicitation, il ne faudrait pas rejeter le principe de la par-ticipation du monde raisonnable au monde sensible, car le monde sensible nenous sollicite que si radicalement il exprime une liberte. Cette “communica-tio” ou communaute des deux mondes admet une part de naturalite et une partde liberte en chacun d’entre eux. La justification de la nature pour le monderaisonnable consiste dans la necessite d’une enveloppe materielle ou d’un in-strument reel pour l’action. La justification de la liberte dans le monde sensible

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consiste dans le regard de l’individu qui attend que sa liberte soit solliciteepar le tout organise exterieur (auquel il participe et dans lequel il est compris).La nature n’importe au sujet que si elle indique en lui, plus essentiellementque l’apparence phenomenale, l’influence d’une liberte metaphysique. La na-ture est l’expression de la liberte premiere creatrice. L’homme comme nature,comme corps materiel, n’est lui-meme que l’expression- le scheme- d’uneliberte inaugurale. Ce tout organise -la Nature- est vu comme tout organise,justement dans la mesure ou il participe a la liberte.70 La demarche fichteenne,loin de retomber dans une interpretation ontologique du corps propre, commecelle de Merleau-Ponty, concerne la dimension metaphysique de la liberteincarnee. Le corps percevant, et se percevant exprime dans la perception lapresence de l’intelligible, en un mot sensibilise l’intelligible. Plus directementdependant des categories de la metaphysique, Fichte en cela se demarque del’interpretation husserlienne de la liberte dans la perception. La question dela perception impose que nous parvenions a articuler le monde sensible et lemonde intelligible, et a expliquer comment l’un se reflechit dans l’autre.

Suivons par exemple le cas de la perception des couleurs: nous ne percevonspas arbitrairement les couleurs, la nature nous sollicite a reconnaıtre telle outelle couleur. Comment elle le fait, cela est pour nous inconnaissable.71 Maisnous ne trahirons pas la definition du savoir de l’idealisme transcendantalcomme accord de l’esprit et de la perception; si nous suivons notre intuitionsensible, le sentiment materiel, le rouge est a la fois une impression du moiet une qualite des choses:72 “Par consequent, si le sentiment materiel (rouge,aigre) est considere, d’un cote en tant qu’affection du Moi, de l’autre entant que qualite de la chose, cette dualite est deja une consequence de lareflexion qui scinde”.73 Ainsi Fichte peut-il ecrire que l’objectif et l’espritsont Un,74 ce qui veut dire que la liberte de l’esprit ne s’oppose pas de faconradicale a l’experience sensible, mais encore que la liberte est constitutive del’experience sensible et de la connaissance du sensible. Si la perception estoriginellement animee par la liberte, alors la connaissance du monde exterieuren est en quelque sorte derive.75 Le percu est bien construit, œuvre d’uneliberte constituante.

La faculte qui permet d’apercevoir la liberte dans son œuvre de constitu-tion du sensible est l’intuition intellectuelle. Elle est la pensee de l’unite duvouloir et du corps. Les lecons de 1797 corroborees par celles de l’anneesuivante, du moins dans la version Krause, fournissent une esquisse de lademonstration menee rigoureusement dans le Fondement du droit naturel: “Tune peux bouger la main ni le pied sans, peut-etre inconsciemment, presupposerles deux choses: ton vouloir pur et vide, absolument dependant de toi, tonvouloir que la main bouge, et les lois de l’organisme et de l’articulationcorporels, d’apres lesquelles le mouvement effectif de la main resulte de cevouloir, et ne s’ensuivra plus des que cette articulation sera blessee et s’il arriveque ta main soit paralysee”.76 Le mouvement du corps est l’exteriorisation

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de la volonte; Fichte est conduit pour penser cette phenomenalisation origi-naire du sensible a utiliser la notion de force.77 A travers la notion de force,c’est l’empiricite, l’existence sensible ou empirique qui sont deduites commeexpression necessaire de la liberte. La force traduit l’acte de la pensee surla matiere. L’etre intelligible, la volonte libre, devient a partir de la, etreempirique.78 Il rentre dans l’espace et son mouvement est orientation dansl’espace, prise d’une direction. Fichte utilise encore une fois la metaphore dupoint dans l’espace. Le point est pris comme l’image du Moi.79 Son activite n’alieu que dans une prise de direction, c’est la condition de toute exteriorisation:

“le moi qui s’apprehende lui meme est un point dans l’espace partoutetendu. Ce Moi ne peut s’exterioriser, si ce n’est selon une direction. Cettederniere est condition de toute exteriorisation, et le savoir de cette directionest condition du savoir de l’exteriorisation ”.80

Le Moi est d’abord pris dans le monde, en meme temps qu’il se dirigedans l’espace: la fusion va jusque la: “intuition et pensee sont fusionnees icid’etonnante facon; le Moi ne se pose pas, en tous les points, en tant que donnantla direction (...) mais il est emporte”.81 “La liberte de ce Moi n’est absolumentque sa pensee; la direction est contenue dans son etre, dans l’univers”.82 Ilsemble effectivement que chez Fichte le Moi mettant sa liberte en jeu dans lereel soit soumis, comme le corps propre husserlien l’est lui-meme d’ailleurs, aune dynamique des tendances. En tant que tendance, ce vers quoi le Moi tendest determine par l’univers. La notion de tendance -pour dire l’etre communde la liberte et de l’univers dans lequel se realise la liberte – rend indistinctsl’univers et le Moi.83 Cela montre que dans l’experience (comme le kantismel’a bien montre), on ne peut pas isoler pour la connaıtre clairement la liberte enl’abstrayant des objets et des actions en lesquels elle est prise, ou de la tendancequi est comme son etre engage et sollicite par l’experience. Comment alorsdistinguer le Moi qui agit et l’univers qui semble aussi agir dans son actionindividuelle?

En saisissant la liberte sous la forme de la tendance, on n’obtient pas unsavoir de la liberte, car la tendance est seulement l’etre spontane de la liberteet non pas le savoir de la liberte. Ce que veut etablir Fichte en comparant lasimple tendance et la forme reflexive de la liberte dans le savoir, c’est quel’une et l’autre sont les produits d’une meme source, car d’une part, il fautpenser la liberte agissante, prise de fait dans l’Univers comme systeme destendances et de l’autre la liberte se sachant elle meme comme savoir de soi.84

Le corps vivant et le savoir de la liberte se realisant par le corps ne sont pasdes propositions contradictoires. En meme temps qu’il fonde la liberte dansune forme d’interaction avec l’univers comme systeme vivant des tendances,Fichte etablit le lien entre le corps et la spiritualite. La vie du corps et le projetde la liberte animent la meme action.

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Mon inscription dans l’univers par mon corps et donc mon integrationdans le monde organique semblent s’opposer au produit de l’intelligence quiconsiste en schemas d’action. Les lois de la liberte ne sont evidemment rem-plies que par le contenu des etres organiques.85 On comprend en effet dans lametaphore de la ligne que celle-ci, effet de la pensee, ne peut etre parcourueeffectivement par la simple abstraction, mais il faut une vie qui anime lespoints pour les transformer en ligne.86 Ce qui interesse Fichte, a partir de lanotion de tendance et de la definition effectivement leibnizienne de l’universcomme systeme des tendances, n’est pas dans ce texte d’inventer une philoso-phie de la nature,87 mais d’unir le monde sensible et le monde spirituel: “Onpourrait d’ores et deja batir sur (le concept de monde sensible) une philoso-phie de la nature. Il est a prevoir que la contre-partie de ce monde dans lapensee, -de meme que ce premier monde reposait dans l’intuition- sera lemonde moral, et qu’il apparaıtra que l’un et l’autre mondes sont absolumentUn, et que le monde moral est le fondement du monde sensible- fondement in-comprehensible quant au mode de la fondation.”88 Il faut maintenant justifiercomment s’opere cette continuite et cette union entre les deux mondes. Fichte,dans le passage de la Wissenschaftslehre 180189 que nous suivons, commencepar les separer, comme se distinguent les hommes aptes a la reflexion et ceuxqui se contentent de la perception.

L’univers dont nous parlons n’existe pour nous que par la pensee: croyantavoir affaire avec l’univers sensible, je saisis a travers lui l’univers intelligible,l’univers moral. Fichte semble reprendre les propositions de Leibniz sur lemeilleur des mondes possibles et affirme que l’univers moral est le fondementde l’univers sensible. Notamment la perception de la nature est occasion pourla perception de la liberte, en tant que la liberte agit sur la nature. La perceptionde la Nature a lieu pour le Moi en meme temps qu’il agit.90 La perceptionde sa direction effective exprime son individualite.91 “Mais nous le savons: laperception universelle est anonyme. Si donc le Moi fonde la determinite dela perception, il ne peut le faire qu’en se posant comme liberte individuelle.Presupposee plus haut, la liberte reelle (G.A. II 6, 300, l. 22) est expliqueeet fondee comme liberte individuelle (G.A. II. 6, l. 14 sq) s’exprimant dansla determinite precise.”92 La perception est indissociablement perception dumonde reel et perception de la liberte a l’oeuvre dans le monde sensible.

Ainsi s’acheve l’unification du monde sensible et du monde intelligible.Tout rapport au monde naturel est medie par la conscience de notre libertea l’œuvre dans ce monde. Le monde sensible est organise autour de la per-ception d’autres intelligences, Fichte ne tente pas de chercher un sens absoluet auto-suffisant dans les objets de la perception, car ce que nous sommesaptes a percevoir, ce sont des formes ou les traces de notre liberte, ou dela liberte humaine en general. La tache dont parle Fichte,93 qu’il a exposeed’abord a Schelling, consiste a construire le regne des esprits, dans la conti-nuite de l’idealisme transcendantal, non pas dans la reference a une puissance

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intelligible exterieure, mais dans l’unite profonde du monde sensible et dumonde intelligible. Precisement le monde sensible n’est pas celui de la con-tingence, de la finitude, mais il est habite, comme le montre le theme de laperception, par la visee finale de l’intelligible, constitue dans ses profondeurspar la liberte. Le monde sensible est l’image ou l’expression du Vouloir intel-ligible, lui-meme distribue sous la forme des individus doues d’intelligence etde volontes. La perception est aussi la voie d’acces aux libres intelligences, quinous sont connues par ce moyen, le monde sensible est alors l’exteriorisationde ces libertes.94 La Nature decrite comme “etre Un, egal a soi-meme, qui sederoule dans le temps infini et dans l’espace compact qu’elle emplit”,95 ne vautpas pour elle meme, elle est le tout dans lequel la diversite des individus estperceptible, elle est au service de l’intersubjectivite, comme support96 pour lacommunaute des libres intelligences. L’elargissement du sens du transcendan-tal est patent puisqu’il concerne maintenant l’idee d’une veritable continuiteentre le sensible et l’intelligible. La passivite dans son rapport a l’activitedessine la preeminence d’un devenir qui englobe la subjectivite consciente. Ilfaut penser la genese a partir d’elle meme.97

**********

Notre but etait d’etablir que la liberte se trouvait dans la sphere del’immediatete, se manifestant dans le monde sensible, sous la forme d’unereflexion eprouvee a meme le corps. Des lors, on ne peut plus se contenterd’apprehender la perception comme le domaine de l’irreflechi. La liberte estpour nous la condition meme de la perception. D’abord a travers le rapportgeneral de notre corps au monde, ensuite a travers le contenu meme de ce quiest percu, nous cherchons dans la perception les contours, ou les traces d’acteslibres. On a vu que le rapport perceptif a autrui passait par la reconnaissanced’une volonte libre modifiant le monde sensible. Non seulement la questionde la perception comme expression d’un pouvoir de l’homme sur le monderapproche les problematiques de Husserl et de Fichte, mais c’est le problemede la reconnaissance de l’alterite qui definit la fecondite propre du theme de laperception pour l’explication de la phenomenalite de la liberte. Si l’hommecherche de facon privilegiee dans la perception la constitution du donne parsa liberte, c’est ou bien qu’il n’y a pas d’attitude spontanee qui ne soit guideepar une fin, sans doute rationnelle, consistant a s’emanciper de la nature, oubien que fondamentalement toute attitude passive est conditionnee par uneactivite constituante.

La liberte determine toute perception comme rencontre d’une liberte al’œuvre originairement dans le sensible. En ce sens, le sensible porte en lui unereflexivite, mais dans la mesure ou cette reflexivite n’est sue comme telle querapportee a l’acte theorique de la methode, on dira qu’elle n’obtient qu’unevaleur pre-reflexive. Chez Fichte, le mouvement d’expression de l’Absolu

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mettait au jour un sujet capable de reeffectuer la fondation phenomenologiquede l’Absolu. Chez Husserl, la liberte n’ a pas ce statut metaphysique, elle semontre seulement dans la capacite humaine de degager l’intelligibilite dusensible; une puissance reflexive originelle, qu’on appellera pre-reflexive,se tient dans le phenomene et lui permet de se reveler comme habite parl’intelligibilite.

Notes

1. Les oeuvres de Fichte sont citees dans l’edition de la Gesamtausgabe de l’Academie deBaviere, Stuttgart, Frommann-Holsboog, GA numero de la serie et ensuite du tome et page,ou bien dans l’edition des Sammtliche Werke (SW n◦du tome et page). Les oeuvres deHusserl sont citees dans l’edition des Husserliana (Husserl-Archive Leuven , ed .Nijhoff,La Haye) .

2. Sur la question de la rencontre de Husserl avec Fichte du point de vue de l’histoire desidees, nous nous permettons de renvoyer a notre article Husserl, lecteur de Fichte, Archivesde Philosophie, automne 2004, (tome 67, cahier 3).

3. Nombreux sont les commentateurs actuels de Fichte qui tentent de penser sa methoded’apres le modele de la reduction husserlienne. On citera le travail de J.Ch. Goddard (Fichte,L’emancipation philosophique (1801–1813), Paris, Presses universitaires de France, col-lection Philosophies, 2003, p. 39) ou la reduction fichteenne suivrait en 1804 deux etapes, lareduction alethologique et la reduction phenomenologique. Mais il suffit pour parler d’unemethode de reduction proprement fichteenne, de considerer le theme de la Lumiere dansle traitement de la Wissenschaftslehre 1804, car construire la notion de Lumiere commeinstrument pour penser l’unite du savoir, l’unite comme sujet-objectivite du savoir, donccomme savoir absolu, c’est bien evidemment operer la mise entre parentheses de l’objetdu savoir et de la substantivite du sujet connaissant; la Lumiere en tant que telle dans safonction d’unite des poles du sujet et de l’objet n’est pensable qu’a partir d’une certaine at-titude, pour emprunter un vocabulaire vulgairement physique, sur une “certaine longueurd’onde”. En realite, la Lumiere decrivant l’acte de connaissance dans l’abstraction destermes subjectifs et objectifs de la connaissance, n’est accessible qu’a une certaine formede reflexion, qui est autre chose que la reduction husserlienne, elle depend plus authen-tiquement de l’ exigence meme de la synthese: la saisie de la mediation comme point dedepart, et non plus les termes entrant dans la synthese est la condition de la “reductionfichteenne”.

4. Cf. a propos du caractere indefiniment incomplet des esquisses Husserl, Ideen I (HUAIII 82) , Paris, ed. Tel-Gallimard,, 1985, p. 144, trad. “un vecu n’est jamais non pluscompletement percu; il ne se laisse pas saisir adequatement dans sa pleine unite. Paressence c’est un flux(. . . ). Finalement le flux total de mon vecu est une unite de vecuqu’il est impossible par principe de saisir par la perception en nous laissant completement“couler avec lui ”. . . ”

5. Cf. sur ce point J. Derrida, La genese dans la philosophie de Husserl, Paris, Pressesuniversitaires de France,, 1990, p. 124: “la liberte de la reduction semble donc limiteea priori par la necessite temporelle de la retention”. qui cite le §18 Les Lecons sur laconscience intime du temps: “La presentification (ou reproduction par souvenir secondaire)d’un vecu se trouve a priori dans le ressort de ma “liberte”” .

6. H. Tietjen, Fichte und Husserl, Letztbegrundung, Subjektivitat und praktische Vernunft imtranszendentalen Idealismus, Frankfurt am Main, ed. V. Klostermann , 1980, p. 208.

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7. H. Tietjen dessine l’ opposition de deux regimes de pensee, que l’on retrouve aussi chezFichte, avec la difference entre la conscience commune, et la vision de la WL. Sur cepoint, nous pouvons aussi renvoyer a Alexander Schnell, dans la Genese de l’apparaıtre,ed. Memoires des Annales de phenomenologie, 2004 p. 24, sur le principe d’une forteproximite avec l’esprit de la reduction husserlienne par exemple dans l’Introduction a laWL 1813, SW IX 16.

8. Le transcendant est le donne au dela de la visee de la conscience. L’effort le plus con-siderable de Husserl fut sans doute de faire saisir le sens de la realite du point de vuephenomenologique; voir H.Tietjen, op. cit.. p. 210 .

9. voir Husserl, Experience et jugement, §14 (69), trad. D. Souche-Dagues, Paris, Pressesuniversitaires de France, (1970), p. 77 .

10. Cf. D. Pradelle, La perception sensible chez Husserl, experience et abstraction, Cahiersphilosophiques de Strasbourg numero 1, mars 1994, p. 37: “toute conduite pratique serapporte a des objets existants, et presuppose donc la croyance fondamentale (Ur-doxa) enl’existence du monde comme nature, ensemble l’objets correspondant a nos impressionssensibles et nos visees intentionnelles”.

11. La hyle exerce une fonction d’affection, et eveille l’interet du sujet percevant.12. Hua XVI 83 , Lecons sur chose et espace, trad. J-F. Lavigne, Paris, Presses universitaires

de France, 1989, p. 109–110.13. voir l’article de Claude Romano, L’unite de l’espace et la phenomenologie, Cahiers

philosophiques de Strasbourg, numero 1, mars 1994, p. 108.14. WL 1797 nova methodo, GA IV 2 105.15. WL 1801, G.A. II, 6 272-273 ; trad. de Bruno Vancamp: J.G. Fichte, Expose de la doctrine

de la science (1801-1802), Bruxelles, ed. Leber-hossmann, 1987.16. WL 1801 G.A. II. 6 243 ; trad. p. 144: “l’agilite est livree a la compacite de l’espace.”17. WL 1801 G.A. II. 6, 243-244 ; trad. p.146.18. G.A. II. 6 271-272 , trad. p.148.19. Voirles Thatsachen des Bewusstseins 1810–1811 , Sammtliche Werke (abrege: SW) SW

II 566 sq.20. Voir par exemple SW II 54.21. Meditations cartesiennes, (MC, en abrege) §43 (Hua I. 123) (trad. aux ed. Presses univer-

sitaires de France, Paris, 1994, p.139).22. MC §44 Hua I 125; trad.cit . p 143: “l’ego que cette expression “alter ego” designe comme

moment, c’est moi meme dans mon etre propre. L’autre renvoie dans son sens constitutifa moi meme . . . ”

23. MC §43 Hua I 123; trad. cit. p. 139.24. MC §43 Hua I 124 trad. p.140.25. MC Hua I 125; trad. p. 143.26. Cf. Natalie Depraz, Transcendance et incarnation: le statut de l’intersubjectivite comme

alterite a soi chez Husserl, Paris, edition Vrin, 1995, voir cha p V, p. 239.27. Hua XIII, n◦10 (1914–1915), p. 289.28. voir les textes de 1925-1928 (Hua XIV, n◦19 a, 378–379), “dans l’experience originale

de soi, la scission entre ce qui est specifiquement egoıque et la hyle etrangere au moi, etultimement le “monde” comme ce dont j’ai l’experience originale”. Comme le note NatalieDepraz, op.cit.. p. 255 , en cela “Husserl repete l’oscillation des Ideen II. Il presente lanecessite constitutive de la hyle pour la conscience egoıque, et fait d’elle un “noyau” deNon-Moi (Nicht-Ich) appartenant au moi de facon essentielle (Hua XIV, n◦19 a, 378–379).”

29. Cf. N. Depraz, op.cit. p. 255 . La hyle est le noyau originaire (Urkern) du moi tout enetant inseparable de lui (Hua XIV, n◦13, janv-fev 1922, p. 244sq), origine constitutive dumoi qui recele en lui cet “heterogene” originaire, permettant sa constitution propre (MsE III 9, 16 a/17a).

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30. Ms C 3, 41b, mai 1931: “L’activite egoıque presuppose la passivite, la passiviteegoıque, et toutes deux presupposent l’association et la pre-conscience sous la forme dusoubassement hyletique ultime. L’egoıque s’objective par reflexion; il se temporalise dansla temporalisation originairement associative, comme nous l’avons dit, en meme tempsque, et inseparablement de l’hyletique le plus inferieur.”

31. N. Depraz, op. cit. p. 266.32. Cf. Hua XIII n◦10, 308, trad. N. Depraz, op.cit. p. 267.33. Hua XIV 138, n◦7.34. Cf. Depraz, op.cit. p. 268 “Alors que la variation eidetique se tient au strict niveau de la

possibilite formelle, l’Umfiktion en est la possibilisation (Vermoglichkeit), rendant ainsipossible l’experience de l’autre effectivement possible”, (citant Hua XIII, n◦8, 265 “Ainsiil est dans l’essence de l’experience de soi(. . . ) que je puisse acquerir une representationpossible d’un autre avant l’experience effective d’un autre sujet”). “Cet autre est moimeme comme imagine. Loin de renforcer l’egologie transcendantale par une eidetique del’ego atteinte grace a la variation imaginaire de ses formes empiriques et au degagementde son essence (Meditations cartesiennes, §34 Hua I 105 ), l’imagination joue le roled’une ouverture possible sur l’experience de l’autre.”

35. Fondement du droit naturel , G.A. I 3 362 trad. A. Renaut, Presses universitaires deFrance, (Paris) , 1984, p. 72 “Le sujet s’attribue cette sphere, se determine par elle. Parconsequent, il se l’oppose . . . .”

36. G.A. I 3 363, trad.cit. p 74.37. G.A. I 3 363.38. G.A. I 3 365, trad. p. 77.39. La phenomenologie de l’influence sur le corps lie la perception au rapport a autrui,

l’existence du monde exterieur est delivree a partir du de la pression d’autrui sur le moi(G.A. I 3 368, trad. cit. p. 80) “Il n’est pas possible de voir si l’on ne se soumet pastout d’abord a l’influence, et si l’on ne reproduit pas ensuite interieurement l’image dela forme de l’objet, si l’on esquisse pas activement son contour; on n’entend pas, si l’onn’imite pas interieurement les sons a l’aide du meme organe grace auquel dans la paroleon produit ces sons”.

40. Cf. le commentaire de J. Ch. Goddard dans l’introduction a la traduction de la Destinationde l’homme, Paris, ed.G.F. 1995, p. 33.

41. G.A. I 3 368 trad. p. 80 “La personne reste, a l’occasion de cette sorte d’influence,totalement et parfaitement libre.(. . . ) En outre, si une influence doit etre exercee sur elle, ilfaut qu’elle imite par liberte l’influence qui est intervenue: elle realise donc expressementsa liberte, ne serait-ce que pour pouvoir percevoir.”

42. G.A. I 3 370, trad.cit. p. 83 “je dois poser en dehors de moi une matiere resistante etconsistante, capable de faire obstacle au mouvement libre de mon corps.”

43. G.A. I 3 371, trad. cit. p. 83.44. Nous trouvons dans la WL 1801 cette proposition tres proche de l’esprit de l’analogie

assimilatrice husserlienne: “chacun ne sait l’agir d’autrui -idealiter- que grace a sonpropre agir, a partir de lui-meme” (G.A. II. 6 304-305 trad. Bruno Vancamp, Bruxelles,ed. Lebeer Hossmann, (1987), p. 221).

45. voir Schiller De la Grace et de la dignite, traduction fr. Paris, edition Sullivan, 2000, p.27, 28, 32.

46. voir dans WL 1797 nova methodo G.A. IV 2 A 252 sq trad. Radrizzani, Lausanne, ed.l’Age d’homme , (1982), p. 294.

47. G.A. IV 2 A 256 trad. p. 298 “cet etre raisonnable est un corps, parce qu’il m’apparaitdoue de causalite; son corps est determinable par liberte. Il m’apparait ainsi parce quej’ai admis qu’il soit un etre libre ”.

48. G.A. IV 2 A 258 trad. cit. p. 299.

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49. La perception porte les conditions de la liberte, et la liberte est thematisee a partir du corpslui meme. A propos du rapport liberte/ corps: “pas d’instrument sans une main qui le puissetenir, point de main qui ne revele l’instrument. Pas de perception du monde sensible, sansperception de la liberte et reciproquement” (Ibid G.A. II 4 A 260, trad. cit. p. 302, l. 9 sq).

50. Merleau -Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, ed. TEL Gallimard, 1964, p. 180–181.51. Cf. Depraz, op.cit. p. 270.52. Le resultat de cette reduction est l’apparition du corps propre comme la forme premiere

de ma presence au monde et a cette nature non objectivee, mais d’abord ressentie. Maisc’est aussi une experience premiere de la liberte dans mon corps, en tant que ce n’est pasl’experience d’un principe de commandement face a une chose sensible. Le corps propredonne lieu a l’experience d’une liberte qui n’est pas consciente d’elle meme, dans ladistance face a un objet. je fais l’experience du “je peux” sans distance reflexive a l’egardde ce pouvoir, mais experience engagee directement dans ce pouvoir.

53. voir par exemple Dorion Cairns, les Conversations avec Husserl et Fink, Grenoble, ed.J. Millon, trad. p. 84 et p. 85 et Hua XVI 160–163 §46 et §47.

54. voir la note du traducteur des lecons sur chose et espace: Paris, Presses universitaires deFrance, p. 462.

55. Hua XI 12 De la synthese passive, trad. B. Begout et J. Kessler, Grenoble, ed. JeromeMillon, 1998, p. 102–103.

56. voir Husserl Ideen II , Hua IV 56.57. ibid. Hua IV 56 , voir aussi Lecons sur chose et espace, Hua XVI 159, trad.cit. p. 194.58. Voir N. Depraz, Comment l’imagination “reduit-elle” l’espace?, Alter n◦4 (Espace et

imagination ) p. 194 “Est-il satisfaisant d’indiquer que les data kinesthesiques ont undouble caractere, a la fois constituant et constitue, qui manifeste d’ailleurs le partage entrechair et corps? Les mouvements passifs dont est investie la chair font signe en directiond’une constitution genetique de l’espace qui transgresse definitivement la circularite duconstitue et du constituant. Elle s’alimente d’ailleurs a l’unite de motivation factuelle(non de fondation necessaire) reliant les deux composantes de la sensation, figurante etkinesthesique.”

59. voir les Lecons sur chose et espace, Hua XVI 323 trad.cit. p. 374 et a propos de lakinesthese, voir N. Depraz, article deja cite, Alter n◦4 (1996) p.194. Pour produire laspatialite, il faut que soient lies “les data de syntheses figurantes (caracterisees par leurdimension qualitative et extensionnelle (Hua XVI §20 p. 46), et par leur rapport demotivation avec les data kinesthesiques, et par suite avec la chair meme.”

60. De la synthese passive, Hua XI 14, trad.cit. p. 104 “Chaque ligne de kinesthese se derouled’une maniere propre totalement differente d’une serie de data sensibles. Elle se deroulecomme etant a ma libre disposition, comme pouvant etre librement mise en scene, commerealisation originairement subjective. Donc en fait le systeme des mouvements du corpsvivant est caracterise relativement a la conscience d’une maniere particuliere comme unsysteme subjectif libre. Je le parcours dans la conscience du libre “je peux””.

61. Lecons sur chose et espace, Hua XVI 162, trad. cit. p. 198.62. voir Lecons sur chose et espace, Hua XVI 162.63. Nous voulons parler de G. Peiffer et E. Levinas, Paris, dans l’ edition Vrin, 1947, reed.

1986, p. 81.64. voir sur ce theme, les arguments sur la reflexivite impossible du corps, chez Vincent

Peillon, dans La tradition de l’esprit,Paris, edition Grasset, 1994 , p. 224.65. Cf. Michel Henry, la Genealogie de la psychanalyse, Paris, ed. Presses universitaires de

France, 1985, p. 219.66. voir sur ce point Laslo Tengelyi, “Corporeite, temporalite et ipseite, Husserl et Henry,”

Documents de travail du departement de philosophie de l’universite de Poitiers, 2004.

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67. VoirWL 1797, G.A. IV. 2. 259, trad.cit. p. 300.68. G.A. IV 2, 259 “L’individu du monde raisonnable est une partie du monde sensible, il est

par consequent pose dans le monde sensible, et sous un certain aspect, ne forme qu’un aveclui..”. On peut ajouter que Fichte avait, semble-t-il, le projet de completer sa philosophie enintegrant les experiences de Mesmer sur le magnetisme animal, voir D. Julia, La questionde l’homme et le fondement de la philosophie, Paris, Aubier, 1964, p. 146 “ces experiencesparaissaient alors susceptibles d’enrichir le repertoire des experiences humaines oumeme d’en transformer la nature en justifiant une vision cosmique de l’existence,fondee sur notre participation a des forces de la Nature transgressant les pouvoirs de laconscience”.

69. G.A. IV 2 260, trad. p. 301.70. G.A. IV 2 260, trad. p. 302.71. G.A. II 6 283-284, trad.cit. p. 193.72. G.A. II 6 285, trad. p. 195: “Pas de sentiment subjectif sans qualite objective, et

inversement”.73. G.A. II 6 285, trad. p. 195.74. G.A. II 6 285–286, trad. p. 195: “le monde sensible n’est rien d’autre que l’esprit lui meme”.75. voir G.A. II. 6 272 et G.A. II 6 286.76. G.A. IV 2 142 , trad. p.195 .77. mon etre dans la pensee devient force dans la connaissance empirique (ibid. p. 196); voir

pour la notion de force TB 1811 SW II 591 .78. G.A II 6 , 288 sq , trad.cit. p. 200 . La reflexion peut etre poursuivie en se referant au

travail d’Alexandro Bertinetto, dans L’Essenza dell’empiria, Napoli, Loffredo editore,2001, p. 260: “A travers le vouloir, le moi s’intuitionne non seulement en tant queforme de la visibilite, de la vie (Ichform), mais en tant que principe agissant dans lemonde. Toutefois le vouloir du moi individuel n’est pas le vouloir originaire, mais lephenomene de la volonte superieure de la vie, ou l’image a travers laquelle une tellevolonte pre-individuelle apparaıt.”

79. G.A. II 6 288 , trad. p. 199: “Der Punkt aber ist das Bild des Ich.”80. G.A II 6, 288 , trad. p. 199.81. G.A. II 6 289-290, trad. p. 201.82. ibid. trad. p. 201.83. G.A. II. 6 290; trad. p. 202: “Je n’agis donc jamais, mais c’est l’univers qui agit en Moi.

A proprement parler, ce dernier n’agit toutefois pas non plus, et il n’y a pas d’agir, maisje ne fais que considerer comme un agir la poussee de l’univers, dans la reflexion decelui-ci en tant que Moi. Par consequent, il n’y a pas non plus de liberte reelle -empirique,-sur le terrain de l’experience”; (voir le commentaire de A. Philonenko, Doctrine de lascience 1801-1802, tome 2, Paris, ed. Vrin , 1987, p.175 “Pour etre comprise ma libertesuppose le monde, en tant que systeme des etres raisonnables, que je percois comme ilsme percoivent et cette comprehension est la realisation de ma liberte”).

84. G.A. II 6 . 292–293, trad. p 203.85. G.A. II 6 293 , trad. p. 203: “Selon de simples lois mecaniques, aucun point ne bouge de

place. Il doit s’y arracher par vie interne et par impulsion, et afin de parvenir a un autrepoint, il lui faut enchaıner organiquement en Un les points intermediaires possibles. Sicette condition n’est pas remplie, le mouvement est absolument impossible.”

86. On peut se referer sur ce point au traitement hegelien de la limite et de l’infini dans laLogique d’Iena 1804–1805.

87. WL 1801 (G.A. II. 6, 291 trad p. 204) ainsi que (G.A. II. 6, 293) et encore le statut duWissenschaftslehrer, niveau superieur de la reflexion: G.A.II.6 294; trad. p. 206.

88. G.A. II. 6 293 , trad. p. 205.

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89. WL 1801 §7, G.A. II. 6 287–288 sq .90. G.A. II. 6 301–302 ; trad. p. 217.91. GA II 6 302.92. A. Philonenko, dans son Commentaire de laDoctrine de la science 1801–1802 , Vrin,

Paris, 1987 op.cit. p. 167.93. G.A. II. 6 303-304, trad. p. 218: “vous voyez comment notre recherche se rapproche de

sa conclusion. Le savoir facticiel tout entier = le monde sensible, est synthetise; il ne resteplus qu’a synthetiser ce savoir avec sa pensee = le monde intelligible, la WL n’a plus qu’acaracteriser le savoir purement subjectif, vide et flottant de facon entierement libre entrel’un et l’autre mondes, ainsi que son opposition fondamentale, et notre tache sera achevee.Car aucune philosophie transcendantale n’a affaire aux sujets et aux objets singuliers.”

94. G.A. II 6 305-306 , trad. p. 222: “La perception dont nous venons de demontrer qu’elleest condition absolue de possibilite de tout savoir est la perception de libres intelligenceset de leurs exteriorisations dans le monde sensible.”

95. G.A. II. 6 305-306, trad. p. 222.96. Voir a ce propos, G.A. II 6 306.97. Comme l’ecrit J. Derrida dans Le probleme de la genese dans la philosophie de Husserl

, op.cit. p. 193 , “le transcendantal ne peut etre alors l’activite d’un “je” comme totaliteformelle de l’activite pure et de la passivite mais bien le devenir genetique et la productionde l’activite a partir de la passivite, du monde comme substrat absolu et possibilite infinied e l’experience a partir des substrats sensibles et individuels.”

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