Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

download Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

of 172

Transcript of Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    1/172

    SCIENCES PO TOULOUSE

    Les Stratégies Marketing du

    LuxeLe Kelly d’Hermès: du sac à main àl’icône de luxe 

    Mémoire écrit sous la direction de Jean-Marc DECAUDIN

    Présenté par Kim PRZYBYLA 

    Année universitaire 2013/2014

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    2/172

     L’IEP n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce

    mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.  

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    3/172

    Résumé du mémoire

    Le luxe peut être synonyme de qualité, envie, désir, émotion, renouveau, histoire, éternel. Ce

    mémoire se propose de déconstruire ce concept, mais aussi d’exposer les multiples facettes decette industrie, et certaines des stratégies mar keting à l’œuvre. 

    Ce secteur d’excellence, né en France, et qui contribue aujourd’hui encore au rayonnement

    international de l’Hexagone, représente plus de 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires par

    an, malgré les secousses de la crise économique mondiale de 2008. Aux confins de l’art et del’artisanat, de la culture et de la science, cette industrie se décline en de multiples facettes très

    différentes, mais qui possèdent toutes la même vocation affichée d’excellence et d’esthétique

    : la mode, mais aussi l’automobile, l’hôtellerie et la gastronomie, les vins et spiritueux, le parfum et les soins du corps, l’art, l’horlogerie et la haute joaillerie, la maroquinerie.  Cedernier secteur sera au cœur de ce mémoire, à travers l’étude d’un produit de luxe iconique

    d’une des dernières maisons familiales indépendantes : le sac Kelly de Hermès. Il s’agitd’étudier comment Hermès a su faire de ce simple bagage de cavalier au départ un sac à main

    de légende, une icône du luxe intemporel, et un accessoire indispensable pour des milliers defemmes à travers le monde. Ainsi le Kelly, et la légende l’entourant, sont le résultat d’années

    d’évolution, d’analyses, et de stratégies bien spécifiques mises en place par la maison Hermès

     pour élever son sac à main emblématique au rang de véritable icône.

    Le marketing du luxe, longtemps soumis à la culture du secret, s’inspire en réalité de

    techniques classiques, qu’il adapte à des produits d’excellence, et à une clientèle privilégiée,

    de mieux en mieux informée et de plus en plus exigeante. Nom d’une princesse et actriceemblématique, prix premium s’échelonnant entre 5000 et plusieurs dizaines de milliers

    d’euros pour certains modèles « vintage » aux enchères, rareté naturelle à travers desmatériaux précieux et des spécificités de confection, mais aussi exclusivité grâce à desréseaux de distribution sélectifs, des délais de fabrication et des listes d’attentes, et placement

    au bras de nombreuses stars d’hier et d’aujourd’hui, les stratégies marketing qui entourent le

    sac Kelly de Hermès sont une métaphore de l’ambivalence du secteur du luxe: il s’agit de lerendre célèbre, attractif aux yeux de la classe dominante, tout en lui confiant une dimensionde « privilège » intimiste et inaccessible.

    Pour la maison Hermès, posséder une icône du luxe intemporel parmi sa gamme de produitscontribue aussi au maintien de son positionnement luxe. Sellier créé en 1837 par ThierryHermès, la marque a su se diversifier tout en gardant une grande cohérence, et en restant très

    fidèle à l’identité originelle de la marque, par son lien fort avec la tradition équestre et lecheval. Jean-Louis Dumas a également su, entre 1978 et 2006, moderniser la marque tout en préservant son essence.

    La méthodologie de ce mémoire s’appuiera principalement sur des recherches documentaires(ouvrages, revues spécialisées, internet), mais aussi sur une enquête client-mystère qui aura

     pour but d’analyser le comportement des vendeurs en boutique, et déterminer si cette atti tudeappartient à une stratégie.

    Mots-clefs

    luxe, stratégie-marketing, mythe, icône, Kelly, Hermès

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    4/172

    Sommaire

    Résumé du mémoire et mots-clefs…………………………………………………………p.3 

    Remerciements……………………………………………………………………………...p.6 

    Introduction générale………………………………………………………………………p.7 

    Section 1 : Le secteur du luxe ……………………………………………………………p.11 

    A) Le Luxe : tentative de définition …………………………………………...p.11 1)  Le luxe : une définition individuelle et fluctuante……………………...p.12 2)  Luxe inaccessible, luxe intermédiaire……………………………….....p.16 3)  Le luxe du point de vue du consommateur : moyen de distinction sociale

    ou plaisir individuel ?...............................................................................p.194)  Les valeurs de consommation du luxe………………………………….p.20 5)  Les nouveaux enjeux psychologiques du luxe………………………….p.20 6)  La définition du luxe par ses acteurs……………………………………p.22 

    B)  Le luxe au XXIe siècle……………………………………………………...p.23 1)  Le luxe face à la crise…………………………………………………...p.23 2)  La nouvelle clientèle du luxe………………………………………...…p.25 3)  Le luxe vers de nouvelles frontières……………………………………p.26 4)  Les nouvelles valeurs du luxe : luxe et éthique………………………...p.29 

    C)  Un secteur aux multiples facettes…………………………………………..p.31 1)  L’hôtellerie……………………………………………………………...p.31 2)  La gastronomie …………………………………………………………p.32 3)  Les vins et spiritueux ……………………………………………......…p.34 4)  L’horlogerie...…………………………….…………………………….p.37 5)  La joaillerie……………………………………………………………..p.39 6)  La technologie de pointe………………………………………………..p.41 7)  L’automobile……………………………………………………………p.42 8)  Le parfum et les soins du corps ………………………………………...p.43 9)  La mode ………………………………………………………………..p.45 

    10) L’art……………………………………………………………………..p.47 11) La maroquinerie ………………………………………………………..p.48 

    D) Luxe et marketing : une relation ambivalente ………………………….…..p.50 1)  Stratégie marketing : définition…………………………………………p.51 2)  Luxe et marketing sont-ils forcément contradictoires ?........................p.513)  Luxe et génération Y…………………………………………………....p.54 4)  Luxe et digital……………………………………………………..........p.55 

    Section 2 : le Kelly d’Hermès : du mythe à la stratégie ………………………………...p.59 

    A) La légende autour du Kelly de Hermès………………………….………….p.59 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    5/172

    1)  L’histoire du Kelly : d’accessoire équestre à sac à main intemporel…...p.59 2)  Un sac qui porte le nom d’une icône……………………………………p.61 3)  Les caractéristiques de ce modèle : une excellence très recherchée…....p.62 

    B)  Un produit parfait………………………………………………….………..p.62 C)  Le « sur-mesure »……………………………………………………….…..p.64 D) Une communication entre la surprise et la confidence………………….….p.65 E)  Un prix premium…………………………………………………….……...p.66 F)  Vintage et ventes aux enchères …...…………………………………...…...p.68 G) La « rareté »…………………………...……………………………………p.72 H) Le placement de produit …...……………………………………………….p.75 I)  Un produit porté par une marque emblématique : Hermès ………………...p.79 

    1)  Une marque authentique, à l’ADN stable ……………………………...p.79 2)  L’apport du Kelly à la réputation de la marque Hermès…………….….p.84 

    J)  L’attitude des vendeurs chez Hermès : part d’une stratégie ou distance imposée

     par le luxe ?.........................................................................................p.901) Enquête client-mystère………………………………………….……....p.90 2) Entretien semi-directif ………………………………………….……….p.94 3) Conclusion………………………………………………………………p.95 

    Conclusion générale ………………………………………………………………………p.97 

    Bibliographie…………………………………..……………………………..p.100 

    Noms propres et marques citées………………………………………….....p.105

    Annexes…………………………………………………….……………………………..p.108 

    1)  Etude : DE BARNIER, V., FALCY, S., VALETTE-FLORENCE, P.,Comment mesurer les perceptions du luxe ? Une comparaison entre les

    échelles de Kapferer (1998), de Vigneron et Johnson (1999), et de Dubois

    et al. (2001). 2)  Rapport 2013, Comité Colbert3)  Grille enquête client-mystère

    4)  Questionnaire Hermès5)  Retranscription de l’entretien semi-directif avec Anne-Laure, vendeuse

    Hermès à Toulouse6)  Carte de visite (o btenue lors de l’enquête client-mystère) avec des

    exemples de prix7)  Lettre envoyée au service Communication de la maison Hermès8)  Réponse au courriel sur le site institutionnel de la maison Hermès

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    6/172

    Merci à :

    Jean-Marc Décaudin, professeur de Marketing et Communication à Sciences Po Toulouse,l’IAE, et l’ESC, et mon directeur de mémoire, pour m’avoir aiguillée et guidée. 

    Laurent Morillon, professeur de Communication Interne à Sciences Po Toulouse, pourm’avoir fourni des contacts utiles et donné des conseils indispensables à la réalisation de cemémoire. 

    Edwar d Loeb, ami, de m’avoir inspiré ce sujet.

    Sarah, ma colocataire et amie, qui m’a soutenue pendant toute cette période.

    Arthur, ami, qui m’a aidé à réaliser cette enquête client-mystère.

    Adrien, pour son soutien inconditionnel.

    Tous les participants à mon enquête client-mystère : Arthur, Nina, Flavien, mon père, mamère, Davy.

    Laurent Bayssac, collègue à l’agence Hotshop, qui s’est démené pour m’obtenir un entretien

    avec un membre du marketing de la maison Hermès.Et enfin merci à Flavien d’avoir accepté de relire ce mémoire.

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    7/172

    Introduction générale

    « Donnez-moi le superflu, je me passerai du nécessaire » Oscar Wilde

    Le luxe est pluriel, ambivalent. Souvent jugé inutile, futile, ou superficiel, il est enréalité indispensable au bien-être de l’Homme, qui cherche sans cesse, à travers lui, àaméliorer son quotidien et s’en échapper parfois en conservant une part de rêve nécessairedans sa vie.

    Selon Jean Castarède « est luxueux tout ce qui n’est pas indispensable mais délectable s’il estsensible à la grâce »1. Le luxe est synonyme de qualité, envie, désir, émotion, renouveau,histoire, éternel. Son étymologie même est source de contradictions entre l’être et le paraître.

    Le mot « luxe » a des sens divers selon les langues. Il proviendrait du mot « lux » qui en latinsignifie « lumière », conférant au luxe son rayonnement, ou bien du mot « luxuria », quidonne au luxe une dimension excessive et rare. Selon d’autres sources, il proviendrait

    également du mot « luxus », de racine indo-européenne, qui a également donné le mot« luxation », et signifie « rupture » ou « déviation ».

    Le luxe existe en réalité depuis la nuit des temps : châteaux, bains romains, copieux banquets, bijoux étincelants… le luxe est une soupape indispensable à l’activité humaine. Voltaire disait

    « le superflu, chose très nécessaire », le luxe permettant selon lui aux êtres humainsd’accepter leur condition d’êtres mortels et de supporter les tracas du quotidien en s’évadant

    ça et là dans un rêve superflu, mais aussi en aspirant à un confort et des conditions de viemeilleures. Le luxe est également le symbole de l’aptitude de l’homme à évoluer, à sesurpasser, ce qui le différencie de l’animal, mais aussi ce qui différencie la classe supérieure

    des autres, et la volonté de celles-ci de l’imiter.

    Le luxe est ambivalent : certains disent qu’il est nécessaire, indispensable, inhérent à la naturehumaine, d’autres l’accusent d’être le symbole du déclin de l’humanité vers l’immoralité et la

    dépravation. Le luxe est censé être le comble de l’esthétique, de la richesse, du confort, mais à

    quel prix ? Au XIXe siècle, l’éthique est plus que jamais au centre des préoccupations, et leluxe doit apprendre à concilier de nouvelles considérations, telles que l’environnement, les

    conditions de travail, les pénuries de matières premières… avec son objectif d’excellenceabsolue. De nombreux parallèles sont établis entre l’industrie du luxe et  La Fable des Abeilles de Mandeville, qui soutient qu’une société ne peut espérer mêler éthique et prospérité2.

    1 CASTEREDE, J., Le Luxe, Paris PUF, Collection « Que sais-je ? », 7 

    e édition 2012, page 18, l. 19-21

    2  MANDEVILLE, B., La Fable des Abeilles, J. ROBERTS, London, 1714 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    8/172

    Le luxe est valorisé, selon Jean Castarède, par trois composantes : chaque objet est, enquelque sorte, unique, mais il possède aussi une âme, une véritable signification pour celuiqui le choisit. Il doit aussi être techniquement parfait, et esthétiquement beau.3 

    Le luxe est un secteur au croisement de l’art et de l’industrie, et de la culture et de la science.

    Si on lui fixe des dates de naissance différentes, tous s’accordent pour dire que le luxe est né

    en France, et fait encore aujourd’hui partie intégrante de sa culture et de son rayonnement auniveau mondial. Leader mondial dans ce secteur, le luxe est un atout de croissance

     phénoménal pour l’Hexagone. Le secteur a, à lui seul, cru de 10% en 2010, et 4% en 2011. Cen’est pas pour rien que Jean-Pierre Blay parle de Paris comme « la capitale des arts et de lamode » !4 

    Le luxe français représenterait à lui-seul 75 milliards d’euros en 2010, soit un tiers du chiffred’affaire du secteur, qui s’élève à 168 milliards d’euros en 2010, et devrait dépasser la barre

    symbolique des 200 milliards d’euros en 2012. Selon Alain-Dominique Perrin, administrateurdu groupe Richemont5, considère ce chiffre d’autant plus symbolique que le luxe a été, luiaussi, secoué par la crise économique mondiale qui est survenue en 2008.

    Cette crise a été à l’origine de nombreuses mutations dans le secteur, face à des changements

    dans l’attitude du client, et dans son rapport avec les grandes marques. Le client est devenu

     beaucoup mieux informé, volage, et exigeant, et les grandes maisons doivent désormais se plier à ses attentes bien plus que jadis. De grandes questions ont également émergé, devenantle centre des préoccupations des consommateurs, mais également des clients traditionnels duluxe : ces questions portent sur le prix des objets, qui les fixe, comment, et quelle est la valeur

    réelle des choses. Les valeurs de vie se sont ainsi transformées, éloignant la classe supérieuredu luxe ostentatoire et du contact populaire.

    Le luxe, qui avait connu une démocratisation dans les années 1995 à 2008, a dû se recentrersur lui-même, revenir à ses valeurs originelles, et s’adapter aux nouvelles caractéristiques deses consommateurs pour survivre. Le luxe a ainsi de tout temps été le reflet des évolutionssociales : de nos jours, avec les nombreuses évolutions technologiques et l’explosion desréseaux de communication, de transport, et d’information  l’accompagnant, le luxe peutdésormais bénéficier d’une gestion rationalisée, avec un potentiel de croissance exponentiel.

    De nombreuses « Maisons » se sont aujourd’hui réunies pour exploiter au mieux le potentielde leur secteur en profitant d’un même réseau de distribution et en se protéger des risquesfinanciers. Ces grands groupes, tels que Richemont et LVMH, ne sont cependant pas parvenusà faire main mise sur une minorité de maisons familiales, dont la plus emblématique estHermès.

    3 CASTEREDE, J., Le Luxe, Paris PUF, Collection « Que sais-je ? », 7 

    e édition 2012, page 19, l. 31-32, page 20,

    l. 1-24 BLAY, J.-P., “La maison Hermès du dernier siècle du cheval à l’ère de l’automobile : une histoire sociale de la

    consommation urbaine à l’époque contemporaine » in Société française d’histoire urbaine, 2005/1, n°12, page69, l. 9-105  La Compagnie Financière Richemont a été fondée en 1988 par le milliardaire Sud-Africain Johann Rupert et est

    basé à Bellevue en Suisse. C’est un groupe d’entreprises spécialisées dans le luxe, et plus particulièrement dansla haute- joaillerie, l’horlogerie, les outils d’écrit ure et la mode. Des marques telles que Chloé, Cartier, Baume &Mercier, ou encore Montblanc appartiennent à ce groupe. 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    9/172

    Sellier créé en 1837 par Thierry Hermès, la maison a rapidement pris son envol, représentantaujourd’hui près de 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaire par an. La marque a su sediversifier, vers la maroquinerie tout d’abord, qui représente aujourd’hui 40% de leur

     production et des modèles emblématiques tels que le Kelly et le Birkin, mais aussi vers lamode, la soie avec les fameux carrés, les accessoires et les parfums, tout en gardant unegrande cohérence, et en restant très fidèle à l’identité originelle de la marque, c’est -à-dire engardant un lien fort avec la tradition équestre et le cheval. Jean-Louis Dumas a également su,entre 1978 et 2006, moderniser la marque tout en gardant son essence.

    L’évolution du sac Kelly est très représentative de la stratégie d’Hermès  : au départ simple bagage du cavalier, Hermès a su en faire un accessoire indispensable pour les femmes detoutes générations. Le sac à main, lui, a perdu depuis bien longtemps sa seule dimensionutilitaire, il s’agit aujourd’hui non seulement de trouver un sac dont la taille et la forme sont

    adaptées à chaque femme et son style de vie, mais il acquiert également une dimension de

    mode, de prestige : il projette une image de son possesseur. Comme le dit Stéphanie Le Bail :« Une femme achetant un sac griffé achète bien plus qu’un sac, la dimension utilitaire étantaussitôt doublée d’une forte dimension symbolique et affective »6. Ainsi le Kelly, et lalégende l’entourant, sont le résultat d’années d’évolution, d’analyses, et de stratégies bien

    spécifiques mises en place par la maison Hermès pour élever son sac à main emblématique aurang de véritable icône.

    Ces stratégies font que le luxe possède aussi un lien étroit avec le secteur du commerce, et unedéfinition plus objective. Toutefois, même ce secteur plus scientifique peine à fixer unedémarcation claire au luxe, lui reconnaissant une dimension créative intrinsèque. Le luxe, au

    sens du commerce, se démarque plutôt par des techniques de vente, de gestion, des réseaux dedistribution qui lui sont propres, et des campagnes de communication savamment étudiées.

    Si les marques françaises ont longtemps pris le mot « marketing » avec des pincettes, etqu’elles sont supposées ne pas avoir besoin de sa magie pour vendre ses produits, ellesutilisent bel et bien certaines de ses techniques pour donner au luxe toute son ambivalence : lerendre célèbre, attractif aux yeux de la classe dominante, tout en lui confiant une dimensionde « privilège » intimiste et inaccessible.

    Problématique : Comment la maison Hermès, maison emblématique du rayonnement du luxe

    français, est-elle parvenue, à travers des stratégies marketing propres au secteur du luxe, àfaire de son sac Kelly une icône du luxe intemporel et un must-have pour les femmes detoutes générations?

    Le luxe est un secteur très spécifique, obscur et difficile à définir (I). Le sac Kelly de Hermèsest une parfaite métaphore de ce secteur aux confins de l’art et de l’artisanat, et une parfaitedémonstration des stratégies marketing qui peuvent être mises en œuvre afin de transformer

    un produit de luxe en accessoire de légende, une enquête permettra de mettre en lumière des

    6  LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Evolutions, actualités et perspectives d’un modèle français,

    Ed. France-Empire Monde, 2011, page 17, l. 12-14 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    10/172

    10 

    régularités dans l’attitude des vendeurs de la maison, jugée comme partie intégrante de la

    stratégie de mythification du sac Kelly (II).

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    11/172

    11 

    Section 1 : Le secteur du luxe

     Pour bien commencer ce mémoire, il est indispensable de bien définir le luxe, en tant que

    notion, mais aussi en tant que secteur économique. Cette définition a de nombreusesimplications dans les stratégies marketing qui entourent le sac Kelly de Hermès.

     La définition de la notion de luxe passe par son étymologie, mais aussi son historique et

    l’évolution de son usage. En tant que secteur économique, le luxe peut être défini selon deux

     points de vue bien distincts et pourtant complémentaires : le point de vue du consommateur,

    et le point de vue des acteurs de ce secteur.

    Selon Christian Blanckaert, le luxe est composé de toute une « galaxie »7  , cette galaxie est

    composée de toutes les notions qui entourent l’univers du luxe, toutes les évolutions qu’il a

    rencontrées, en particuliers durant ces 20 dernières années qui ont été riches en changement,

    mais aussi de toutes les industries qui composent ce secteur relativement confidentiel et

     pourtant très versatile, ce qui rend aussi sa relation au marketing très ambivalente.

     Maroquinerie, mode, technologie de pointe… Ces industries sont bien différentes mais

    rejoignent pourtant toutes une poignée de caractéristiques essentielles qui en font une partie

    intégrante de la « galaxie » du luxe.

    A)  Le luxe : tentative de définition

    Le luxe est une notion très complexe, et difficile à définir. Sa définition varie d’un individu à

    l’autre, et d’une époque à l’autre. Elle possède une dimension esthétique, qui renvoie à la

    notion de « beau », sujet philosophique par excellence. Dans Critique de la faculté de juger ,Kant différencie le « beau », qui est objectif et universel, du « plaisant », qui est subjectif et

     personnel8, et nous rapproche de la définition du luxe de Christian Blanckaert : dans  Les 100 Mots du Luxe, il dit que le luxe renvoie à des objets, mais aussi des sentiments, et que sadéfinition est individuelle, personnelle, et complexe, à l’image de l’homme qui l’a créé. Il

    disait : « Le luxe est humain jusqu’au bout des ongles. Mais qui est donc l’ennemi du luxe ?Le mensonge, la trahison ».9 

    1)  Le luxe, une définition individuelle et fluctuante

    La définition du luxe a beaucoup évolué à travers les âges, comme le révèle son étymologie :du latin « luxus », le luxe a à l’origine une connotation négative, telle une aberration, unedéviance. Son évolution dans la langue française à travers les époques traduit un glissement

     progressif de cette notion d’excès vers des dimensions moins négatives que sont le

    raffinement, la distinction, même si le luxe reste pendant longtemps considéré commesuperflu et contraire aux règles morales. A la Révolution Industrielle, avec l’émergence de la

    société de consommation et des loisirs, le luxe passe de l’aberration à la rareté, et de la

     BLANCKAERT, C., Les 100 mots du Luxe, Paris, P.U.F. « Que sais-je ? » 2010, p. 7, l. 13-14 8  KANT, E., Critique de la faculté de juger, 1790

    9 BLANCKAERT, C., Les 100 mots du Luxe, Paris, P.U.F. « Que sais-je ? » 2010, p. 7, l. 6-7  

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    12/172

    12 

    distinction à l’imitation, tout en conservant son absence de fonction utilitaire.10 Les progrèstechniques qui accompagnent la Révolution Industrielle permettent le développement desecteurs entiers du luxe, concomitant à l’émergence de la classe bourgeoise, extravertie et

    dépensière, et désireuse d’imiter les codes de la noblesse. Comme le dit Christian Blanckaertdans  Les 100 Mots du Luxe, de nombreuses notions gravitent autour du luxe : il parle de« galaxie ». Une des notions inhérentes au luxe et qui est restée constante est celle de« prix » : il a toujours été entendu que le luxe se paye.

    Aujourd’hui, les 5 différentes définitions du dictionnaire Larousse révèlent bien ces

    différentes dimensions :

    - «caractère de ce qui est coûteux, raffiné, somptueux »- « environnement constitué par des objets coûteux, manière de vivre coûteuse et

    raffinée »- « plaisir relativement coûteux que l’on s’offre sans vraie nécessité »- « ce que l’on s’offre de manière exceptionnelle ou que l’on se permet de dire, de faire

    en plus, pour se faire plaisir »- « grande abondance de quelque chose »

    Ces différentes définitions sont bien résumées en celle de Jean Castarède, qui a déjà étéutilisée dans l’introduction : « Est luxueux tout ce qui n’est pas indispensable mais délectables’il est sensible à la grâce »11. Le luxe peut donc être défini comme des objets, ou un mode devie, qui conjuguent culte de l’excellence et exigence esthétique, plaisir et superflu, tradition et

    innovation, créativité et légende.

    Marie-Claude Sicard parle d’une «  table de lois » du luxe, qui décrirait les caractéristiquesinhérentes à ce secteur bien particulier : le luxe remonterait selon elle au 18 e siècle et seraitd’origine exclusivement française et aristocratique. Ses composantes essentielles seraient

    l’art, l’élégance, le bon goût et la beauté.12 

    Pierre de Champfleury, conseiller en fusion/acquisition dans le luxe, prête au luxe une forte part d’immatériel, qui différencie ce secteur des autres : « c’est la formule magique de lamarque ; un mélange de création, de savoir-faire, de savoir-dire, et de savoir-montrer. »13 

    2)  Luxe inaccessible, luxe intermédiaire

    Mais le luxe peut aussi être un positionnement publicitaire, dont de nombreuses marques setarguent : elles mettent en avant des valeurs de pouvoir et de prestige et proposent le luxecomme mode de vie, sans pour autant proposer des produits à proprement parler « luxueux » :ce sont les caractéristiques des marques « post-modernes », qui essayent de toucher un

    10 CHEVALIER, M., MAZZALOVO, G., Management et Marketing du Luxe, Paris, Dunod, 2 

    e édition 2011, « La

    notion de luxe », « Etymologie et transformations », p. 12-1411

     CASTEREDE, J., Le Luxe, Paris PUF, Collection « Que sais-je ? », 7 e édition 2012, page 18, l. 19-21

    12  SICARD, M.-C., Luxe, mensonges et marketing, Paris, Pearson Education France, Collection « Village

    Mondial », 3e édition 2010, p. 20-21 13

      CASTETS, C., « Dans le luxe, la valeur essentielle d’une marque se situe hors bilan  » in Le nouvelEconomiste, publié le 27/01/14, p.6-8  

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    13/172

    13 

    consommateur de plus en plus hédoniste. Ce positionnement implique des stratégiesinnovantes de création, de communication et de distribution.

    Danielle Allérès, économiste et spécialiste du luxe, différencie 3 types de luxe : le luxeaccessible, intermédiaire, et inaccessible (présentés dans les diagrammes ci-dessous). Le luxe

    intermédiaire est, selon elle, le moyen pour la classe moyenne de s’offrir les valeurs(excellence, esthétisme…) et le rêve du luxe à prix abordable. 

    Figure 1: Hiérarchie des objets de luxe, extrait de l'article "Luxe et marque d'enseigne" de D. Allérès 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    14/172

    14 

    Figure 2: Classes sociales et styles de vie, extrait de l'article "Luxe et marque d'enseigne" de D. Allérès 

    De la même manière, Michel Chevalier et Gérard Mazzalovo font la distinction entre un« luxe véritable », que peu de gens peuvent s’offrir, et un ou plusieurs « luxe(s)intermédiaire(s) », notion empruntée à Danielle Allérès, qui sont le symbole d’une certaine

    démocratisation du luxe. Gérard Caron, designer, distingue 3 types de luxe : le « luxed’exception », très français et confidentiel, le « luxe de prestige », plus ostentatoire, et enfin le« luxe premium », qui fait appel à la science et à la technique.14 Ce sont les marques de luxeelles-mêmes qui sont à l’origine de ces transformations : en inventant de nouvelles stratégies,et en allant à la rencontre de nouveaux publics, elles ont renouvelé la notion du luxe. Parexemple, Yves Saint Laurent, en organisant un défilé au Stade de France en 1998, a orchestréla rencontre du milieu populaire du football avec le monde inaccessible de la haute-couture.Aujourd’hui, une population très hétérogène accède à un secteur du luxe lui -même de plus en

     plus diversifié.

    Avec l’arrivée de nouvelles marques sur le marché, et l’hybridation entre les secteurs, quellessont aujourd’hui les différences entre luxe intermédiaire et luxe véritable ?

    Si on pourrait penser que grande consommation et luxe sont tous deux dominés par ladictature du résultat, Jean Marie Floch, au contraire, dit que la logique de profit est réservéeaux marques de masse, le luxe se définissant par son indépendance vis à vis de toute norme etde toute contrainte.

    14 DURAND, S., « Luxe, le changement d’aire » in Formes de Luxe, Le magazine de l’emballage de luxe, n°100,

    Mai 2014, Retrospective – Prospective

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    15/172

    15 

    Jean Castarède disait « le luxe, c’est ce qui n’est pas courant et qui est lié au don, à la

    représentation, à la magnificence et à la fête. »15 

    Ainsi, chaque marque cultive sa différence au moins sur un domaine. Ferrari, marque de luxeinaccessible par excellence, se différencie de son concurrent Porsche par sa production :

    quand son concurrent espère atteindre une production de 150 000 modèles par an, Ferrari selimite à 6000 modèles par an. D’autre part, la Scuderia Ferrari reste présente dans tous les

    sports automobiles, en particulier la prestigieuse Formule 116. Autre exemple, Hermès, qui amaintenu sa production entièrement artisanale en France alors que la plupart de sesconcurrents ont délocalisé et automatisé leur production, conserve toujours son lien avec latradition équestre.

    La communication de la marque Patek Philippe est très représentative de cette culture de ladifférence : au lieu de communiquer sur la préciosité de ses matériaux, ou la sophistication deses mécanismes, la marque communique autour des valeurs de partage, de transmission,d’héritage.17 

    15 CASTEREDE, J., Le Luxe, Paris PUF, Collection « Que sais-je ? », 7 

    e édition 2012, page 7, l. 1-3

    16 CHEVALIER, M., MAZZALOVO, G., Management et Marketing du Luxe, Paris, Dunod, 2 

    e édition 2011, p. 29, l.

    19-3017 

      http://www.montres-de-luxe.com/Patek-Philippe-lance-une-toute-nouvelle-interpretation-de-sa-campagne- publicitaire-Generations_a1936.html  

    Figure 3: Patek Philippe, campagne "Générations" (2008)

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    16/172

    16 

    Le luxe est aussi un discours, qui peut être défini selon deux aspects :

    -  son émission, c’est à dire, la manière dont ses émetteurs présentent la production des

     biens et services de luxe-  sa réception, c’est à dire les implications sociales et psychologiques qu’ont ses

     produits/services sur ses récepteurs. 

    3)  Le luxe du point de vue du consommateur: moyen de distinction sociale ou plaisirindividuel ?

    Selon Pierre Bourdieu, le luxe est avant tout un moyen d’affirmer une position sociale, ce quilui confère une dimension de communication sociale.18 

     Norbet Elias a également défini le luxe comme un instrument de distinction, et un vecteur de

    différenciation de la noblesse (plus particulièrement la cour de Louis XIV) au XVIIIe siècle.Cette différenciation est d’abord passée par l’habitat, puis le langage, plus raffiné, les

    émotions, contenues et refoulées, et surtout un nouveau système de dépense, uneconsommation de prestige indexée sur le rang.19 

    Thorstein Veblen, économiste et sociologue américain, va plus loin en introduisant la notionde « conspicuous waste  » (en français : prodigalité ostentatoire).20  En effet, selon cettethéorie, les consommateurs achètent des objets chers afin d’afficher leur s richesses et leurrevenu, sans que ces objets répondent réellement à leurs besoins, ce qui induit un gâchis detemps et d’argent. Dans ce sens, la consommation est un moyen d’acquérir ou d’afficher un

    statut. Cette théorie est inspirée du comportement de la classe bourgeoise après la SecondeRévolution Industrielle au XIXe siècle.

    De cette théorie est directement tirée la notion de « produit de Veblen » : il s’agit d’un produitde luxe dont la demande augmente lorsque son prix augmente, comme par exemple certainsvins. Cette théorie prouve à la fois l’effet distinctif et la valeur symbolique des produits deluxe.

    Figure 4: Courbe de demande d'un produit de Veblen

    18  BOURDIEU, P., La Distinction, Minuit, Paris, 197919

    http://www.histoire.presse.fr/livres/les-classiques/la-societe-de-cour-de-norbert-elias-01-01-2002-394820 

     VEBLEN, T., Théorie de la classe de loisir, Gallimard, Paris, 1970  

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    17/172

    17 

    L’approche de Jean Baudrillard, sociologue français, est très  proche de celle de ThomasVeblen : il distingue la valeur d’échange de la valeur d’usage d’un service ou produit deluxe.21 

    Gilles Lipovetsky et Elyette Roux donnent une définition plus récente du luxe dans  Le Luxe

    éternel  : « le luxe apparaît comme ce qui  perpétue une forme de pensée mythique au cœurmême des cultures marchandes désacralisées. »22  Selon cette définition, le luxe a unedimension sacrée et immatérielle qui permet d’atteindre l’éternité. 

    Mais le social et l’individuel ne sont pas forcément contradictoires, et si le luxe a unedimension de distinction sociale démontrée par de nombreux sociologues, il est également unvecteur de plaisir individuel.

    Dans L’Etre et le Néant , Jean-Paul Sartre souligne que cet hédonisme individuel réside dansune croyance personnelle en la valeur ajoutée du produit ou service de luxe.

    Les théories de psychologies s’intéressent aux motivations des consommateurs du luxe, ou à

    leurs émotions et sentiments. Les aspects qui peuvent pousser un individu à consommer duluxe sont par exemple, l’univers de marque (dans le cas d’une marque post-moderne qui vendun mode de vie).

    Figure 5: Evolution sémantique historique des définitions de la notion de luxe, extrait de« Management et Marketing du Luxe » 

    21 BAUDRILLARD, J., Pour une critique de l’économie du signe, Gallimard, Paris, 1972  

    22  LIPOVETSKY, G., ROUX, E., Le Luxe éternel, Gallimard, Paris, 2003 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    18/172

    18 

    Pour le consommateur, la différence entre une marque ou un produit de luxe et une marque ouun produit de grande consommation repose sur les valeurs véhiculées. Des universitaires,Barnier, Falcy et Valette-Florence, ont réalisé une étude sur un échantillon de 500 personnesafin d’identifier les valeurs du luxe au sein de la population française. 23 

    Pour ce faire, ils ont employé 3 échelles :

    -  l’échelle de Kapferer 24 -  l’échelle de Vigneron et Johnson -  l’échelle de Dubois et al. 

    Les valeurs qui ressortent le plus au sein de la population française selon cette étude sont :

    -  l’élitisme, avec les notions de « distinction », et de « select »-  la qualité et le prix élevé

    -  l’hédonisme, la notion de « plaisir »-  la puissance de la marque, avec les notions de « renommée » et d’ « unicité »

    En résumé, le luxe peut être défini selon deux aspects principaux du point de vue desconsommateurs :

    -  un aspect sociologique : le luxe comme distinction sociale-  un aspect lié à la production de l’objet, qui a des conséquences à la fois sociales et

     psychologiques.

    23 Cette étude se trouve en annexe

    24  Développée par Gilles Laurent et Jean-Noël Kapferer, elle permet d’analyser l’implication d’un individu en

    distinguant 1) l’intérêt, 2) la valeur hédoniste que représente le plaisir, 3) la valeur de signe attribuée au produit, àson achat ou à sa consommation, 4) l’importance du risque et 5) la probabilité de se tromper lors du choix d’un produit. Ces cinq facettes sont mesurées à partir de 16 items associés à des échelles de type Likert toutes à cinq positions. (Source : http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire-Marketing/echelle-d-implication-de-Laurent-et-Kapferer-9051.htm) 

    Figure 6: Positionnement de la définition du luxe donnée par lesconsommateurs, extrait de "Management et Marketing du Luxe"

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    19/172

    19 

    4)  Les valeurs de consommation du luxe

    Jean Marie Floch a établi 4 logiques de consommations, généralement utilisées dans la miseen place des rayons en grande consommation :

    -  la logique de besoin-  la logique de désir-  la logique d’intérêt -  la logique de plaisir

    La logique de désir, liée à la valeur d’élitisme, et la logique de plaisir, liée à la valeur

    d’hédonisme, sont les deux moteurs de consommation du luxe. Les deux autres logiques sont-elles pour autant contradictoires avec la consommation de luxe ?

    Figure 7: Carré sémiotique des valeurs de consommation, extrait de "Management et Marketing du Luxe" 

    La notion de « luxe avantageux » par exemple, peut concilier désir ou plaisir, avec la logiqued’intérêt, grâce aux ventes privées par exemple, qui peuvent permettre d’acquérir des pièces

    de luxe à prix cassés. Le luxe intermédiaire/accessible, peut lier logique de plaisir et logiqued’intérêt grâce aux produits de licence (parfums, cosmétiques…). Ces produ its constituenttoutefois un risque pour l’image de la marque. Les marques de mode premiumisées

    constituent aussi un glissement entre plaisir et désir : certaines marques américaines, comme par exemple, Michael Kors, sont très représentatives de cette évolution : au départ marque demode aux prix abordables, la marque se rapproche progressivement d’un positionnement luxe,

    avec l’apparition de matériaux luxueux dans les accessoires (sacs en python), et de ses robes

    sur les tapis rouges.

    Zara, exemple par excellence du luxe accessible, allie plaisir d’être à la mode et intérêt grâce

    à un prix accessible : son atout de différenciation est que les collections se renouvellent en

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    20/172

    20 

    continu, garantissant à ses consommatrices d’être toujours à la pointe de la mode sans ymettre le prix. Gérald Mazzalovo et Michel Chevalier parlent même de « luxe raisonnable »25.

    5)  Les nouveaux enjeux psychologiques du luxe

    Avec la diversification du secteur du luxe et l’hybridation des différents secteurs se posentaujourd’hui de nouvelles questions : comment maintenir la qualité et l’authenticité d’antanface à la concurrence et aux logiques de profit ?

    Par exemple Creed, parfumeur de niche et maison familiale, est la marque qui parfume les puissants et les stars. Très confidentielle, et réservée uniquement à une poignée d’initiés,

    l’univers de la marque est aujourd’hui remis en question : issue d’une maison de couturecr éée par James Henry Creed en Angleterre en 1760, la maison s’installe en 1854 à Paris et sediversifie dans le parfum avant de retourner s’installer à Londres après la Seconde Guerre

    mondiale. Elle aurait habillé la Reine Victoria et l’impératrice Eugénie. Cette légende paraît

     peu crédible aux yeux des consommateurs qui critiquent vivement la marque sur la toile.

    Algirdas Julien Greimas, linguiste, a mis en place un carré sémiotique dit « de lavéridiction »26. Il comprend 4 composantes :

    -  être-  ne pas être-   paraître-  ne pas paraître

    Appliqué au luxe, il crée les combinaisons suivantes :-  être/paraître : vérité : la gestion de la marque est en adéquation avec les valeurs qu’elle

    véhicule-  être/ne pas paraître : secret : la marque est confidentielle et se cantonne à un cercle de

    fidèles-  ne pas être/paraître : mensonge : la marque communique sur des valeurs qu’elle ne

     porte pas-  ne pas être/ne pas paraître : faux : cette combinaison renvoie à un fléau bien connu des

    marques de luxe : la contrefaçon.

    25 CHEVALIER, M., MAZZALOVO, G., Management et Marketing du Luxe, Paris, Dunod, 2 e édition 2011, « Leluxe raisonnable », p.30, l. 2-2626 

     GREIMAS, A.-J., Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    21/172

    21 

    Figure 8: Carré sémiotique de la véridiction, extrait de "Management et Marketing du Luxe" 

    Le luxe intermédiaire symbolise le compromis des marques modernes : il se situe sur l’axe dumensonge, à mi-chemin entre l’ostentation et le bon marché. Il imite les codes du luxe, enemprunte les univers, qu’il se réapproprie dans sa publicité, comme le fait Longchamp dans sa

    campagne été 2014 avec son égérie Alexa Chung.

    Figure 9: Longchamp, campagne été 2014 avec Alexa Chung

    Le succès de Swarovski est également un bon exemple de cette imitation orchestrée par leluxe intermédiaire : le cristal se substitue ainsi aux diamants. Moins cher, il brille tout autant,

    et « donne le change » : si on reprend les composantes de la véridiction de Greimas, on sesitue dans le « paraître ».

    Gilmore et Pine ont ainsi défini un nouvel enjeu majeur du luxe : la légitimité. Pour eux, cettelégitimité se rapproche des notions d’authenticité et de crédibilité, et dépend de 5 vecteurs 27 :

    -  la nature : ce vecteur se traduit par l’usage de matériaux naturels, ce qui contribue à larareté et la préciosité des matériaux, et par une approche écologique et citoyenne.

    27  GILMORE, J., PINE, J., Authenticity, Harvard Business School, 2007

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    22/172

    22 

    -  l’originalité : ce vecteur peut se manifester à deux niveaux : au niveau de la création, par une démarche innovante et inventive, et au niveau de la communication par un positionnement différencié.

    -  L’exception : ce vecteur touche essentiellement à la légende qui entoure le luxe avectoute sa dimension festive, son savoir-faire, son unicité.

    -  Le référentiel : ce vecteur fait référence au contexte et à l’époque dans lesquelss’inscrivent le produit de luxe, mais aussi à l’histoire de la marque, ses égéries, ses

    succès emblématiques.-  L’autorité : ce vecteur fait référence aux valeurs, à l’influence et au pouvoir de la

    marque.

    Pour Gilmore et Pine une marque authentique obtient sa crédibilité en faisant des efforts surles produits tandis qu’une marque de luxe intermédiaire bénéficie d’une crédibilité moindre

    car elle mise ses efforts sur la communication et la publicité.

    Par exemple, Patek Philippe, cas qui a déjà été étudié précédemment, est la marque de luxeauthentique par excellence : sa crédibilité n’est plus à démontrer, comme le prouvent lamontre, très discrètement portée au bras du modèle masculin sur les photos de ses campagnes.

    Ferrari en revanche, mêle les codes du luxe véritable et du luxe ostentatoire : son statut demarque de luxe authentique est définitivement établi, comme cela a été démontré

     précédemment, grâce à la rareté de ses produits, l’innovation technique et leurs performancesexceptionnelles, pourtant la marque montre en gros plans ses voitures dans ses campagnes,comme pour attiser la convoitise d’un consommateur qui n’aura jamais les moyens de se les

    offrir.6)  La définition du luxe par ses acteurs

    Patrizio Bertelli, président de Prada, définit le luxe comme la convergence de la création et del’intuition. Pour Jean Castarède, « en termes de « mercatique » on dira que le luxe est tout cequi est moins quantifiable et plus intuitif parce que faisant appel à la création et au génie :d’où sa spécificité à la fois dans les techniques de vente et d’organisation, dans les modes de

    gestion, d’encadrement et de recrutement ».28 

    Pour les acteurs du champ économique, le luxe nécessite une définition plus pragmatique,

     basée sur les caractéristiques des produits qui les distinguent des autres produits deconsommation.

    Le Comité Colbert, qui regroupe les principaux acteurs du luxe français : marques (Baccarat,Givenchy, Guerlain…) et institutions culturelles (Château de Versailles, Monnaie de Paris…),

     participe également à la définition de la notion de luxe : « une industrie qui englobe à la foisla définition d’industrie culturelle et créative ».29 

    28 CASTEREDE, J., Le Luxe, Paris PUF, Collection « Que sais-je ? », 7 

    e édition 2012, page 6, l.22-26  

    29  Contribution du Comité Colbert à la consultation lancée par la Commissaire Vassiliou sur le Livre Vert  – « Libérer le potentiel des industries culturelles et créatives ». Numéro d’identification dans le Registre desreprésentants d’intérêts de la Commissi on européenne : 62379572263-63

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    23/172

    23 

    Pour Marie-Claude Sicard, les professionnels du luxe « passent leur temps à expliquer queleur métier ne s’explique pas, qu’il y faut de l’intuition, de la sensibilité, de l’inspiration, des

    doigts de fée, des yeux d’artiste, une âme de créateur. »30 

    Il faut également distinguer une « marque » de luxe d’un « produit » de luxe : si les deux

    notions sont interdépendantes, et rencontrent entre elles des impératifs de cohérence, lamarque renvoie plutôt à une idée immatérielle, à une identité, tandis que le produit, plusconcret, renvoie à une qualité et un savoir-faire.

    La marque elle-même possède plusieurs dimensions :

    -  « l’éthique de marque » : la partie la plus abstraite de son ADN, qui comprend desvaleurs, son histoire, toutes les composantes immatérielles de son identité.

    -  « l’esthétique de marque » : la partie la plus concrète de son ADN, qui renvoie auxreprésentations concrètes de la marques, et à l’usage des 5 sens : couleurs, formes,

    matières, parfum, goût etc.

    Une bonne gestion d’une industrie du luxe consiste donc à trouver un parfait équilibre entre

    cet aspect concret et cet aspect plus immatériel, qui ont tous deux un impact primordial surl’image et le positionnement de la marque.

    B) 

    Le luxe au XXIe siècle

    « C’est au cours de ces vingt dernières années que des empires se sont bâtis autour demarques phares et de talents en devenir ; que le luxe a crû plus vite que la croissance

    mondiale, que les fabricants se sont métamorphosés ; que la distribution s’est renforcée ; quela Chine s’est éveillée ; qu’Internet a rebattu les cartes, avec sa communication instantanée,son e-économie, ses acteurs valorisés à des milliards d’euros. Bref, que le monde s’estmondialisé, dématérialisé, hystérisé. » Sabine Durand31 

    Le luxe a beaucoup évolué ces dernières années. Confronté à de nouvelles problématiques, età de nouveaux enjeux, il a du s’adapter. Prise de pouvoir de la génération Y, boom d’internet,

     prise de conscience d’enjeux planétaires, évolutions marketing, mondialisation, criseéconomique sans précédent… Le luxe est sorti de tous ces changements métamorphosé… et

    grandi ?

    1)  Le luxe face à la crise

    Donald Potard disait « Le secteur du luxe est le dernier atteint dans les moments de crise, ilest le premier qui redémarre parce que la plupart des gens ont envie de dépenser leur argent,c’est inhérent à l’humain ».32 

    30   SICARD, M.-C., Luxe, mensonges et marketing, Paris, Pearson Education France, Collection « Village

    Mondial », 3e édition 2010, p. 20, l.1-631

     DURAND, S., « Un voyage dans le temps » in Formes de Luxe, Le magazine de l’embal lage de luxe, n°100,Mai 2014, Retrospective – Prospective 32 LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Evolutions, actualités et perspectives d’un modèle français,Ed. France-Empire Monde, 2011, « Crise : le luxe ploie sans rompre et rebondit vers la croissance », p.165, l.7-11 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    24/172

    24 

    En 2007, avant la fameuse « Grande Dépression » de ces dernières années, le luxe connaissaitune croissance de 8%. Comment a-t-il réagi à la crise ?

    La crise économique de 2008 a d’abord débuté par la crise des subprimes aux Etats Unis en

    2006-2007 : après une période où le crédit était facilité, les taux d’intérêt ont explosé. Cela a

     provoqué un krach boursier en 2008, puis une crise économique et sociale sans précédent. LesEtats Unis sont les premiers à tomber en récession fin 2007, suivis de près par la plupart des

     pays européens en 2008, et enfin la France en 2009. Cette crise a provoqué une forte baissedes actions et de l’immobilier et par conséquent une crise du système bancaire, une forte

    hausse du prix du pétrole et des produits agricoles, une hausse du chômage et unralentissement du commerce international. Les pays les plus touchés sont les Etats Unis,l’Europe (le PIB de la zone euro recule de 4% en 2009) et le Japon. La baisse de la

    consommation des ménages et des achats des touristes met le luxe en difficulté.

    C’est la première dépression depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Or laconsommation du luxe a évolué : il n’est plus réservé à une clientèle élitiste, mais repose surune ar mée d’acheteurs occasionnels qui n’ont plus les moyens de s’offrir des biens de luxedans ce contexte. Le luxe s’effondre de 5,2% entre 2008 et 2009.

    Les petites marques, les moins armées, sont les premières touchées : certaines ne survivront pas à la crise. L’hyper luxe, secteur de niche, est également très touché : le marché del’immobilier de prestige, des yachts, et des jets privés pâtit de la diminution du nombre de

    millionnaires (selon le 13e World Wealth Report de Merill Lynch et Capgemini). En joaillerieet en horlogerie, ce sont les produits « intermédiaires » qui sont le plus touchés, les produits

    les plus chers constituant malgré tout un investissement rassurant pour les consommateurs duluxe. L’autre « valeur refuge », l’immobilier, repart rapidement à la hausse dès 2010. Le luxeintermédiaire (parfums, accessoires) se maintient.

    La crise a surtout provoqué un changement de comportement, à la fois chez lesconsommateurs et les maisons de luxe.

    Les acheteurs sont revenus à une logique d’un autre siècle, en privilégiant la qualité et la

    valeur des pr oduits. Ils s’intéressent aussi désormais aux conditions dans lesquelles les produits sont fabriqués : conditions de travail, écologie etc. Les maisons de luxe sont forcées

    de s’adapter à ces exigences, et d’adapter leur gestion. Elles misent désormais sur la créativitéet la qualité, n’hésitant pas à réduire les coûts au plus haut de la crise en organisant des défilésmoins somptueux et en réduisant leur personnel. La crise a agi comme un révélateur des excèset faiblesses du système. Jean Castarède disait « Il ne faut pas craindre les crises qui ontmalgré tout des effets positifs et font « fondre les mauvaises graisses » »33. Le luxe mise alorssur une politique de vente plus agressive, et revient sur ses valeurs sûres : des codes trèsminimalistes côté mode (noir, sobriété, vintage, matériaux classiques et indémodables), et laréédition de pièces iconiques (telles que la Reverso de Jaeger Lecoultre, mais aussi en

     parfumerie avec la création de Shalimar Parfum Initial par exemple).

    33 LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Evolutions, actualités et perspectives d’un modèle français,

    Ed. France-Empire Monde, 2011, « Crise : le luxe ploie sans rompre et rebondit vers la croissance », p.165, l.4-6  

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    25/172

    25 

    En 2011, le luxe retrouve déjà son niveau de 2008. Selon Bain & Company, il aurait progressé de 10% entre 2009 et 2010. Au 1er   semestre 2010, LVMH affiche déjà unecroissance florissante de 10%. Le luxe semble alors avoir de bonnes perspectives pourl’avenir. De plus, la Chine, l’Inde et le Brésil, marchés potentiels importants pour le luxe, ont

     bien résisté à la crise.

    Pourtant, alors que la crise semble sur le point de s’essouffler, le luxe connaît unralentissement en 2013 : une croissance de 6%, soit 2% en tenant compte du taux de changeselon l’agence Bain & Company.34 Cela  pourrait s’expliquer par plusieurs raisons en Chine, marché très porteur pour le luxe:

    -  les mesures anti-corruption en Chine, qui ont touché de plein fouet le luxe ostentatoire(comme la figure de proue de LVMH, Louis Vuitton) et le marché des spiritueux(notamment le cognac).

    -  La dépréciation du renminbi, qui dissuade les consommateurs chinois d’acheter duluxe à l’étranger  

    -  La première dame chinoise, véritable Carla Bruni locale, Peng Liyuan, met en avantles marques chinoises dans sa garde-robe très admirée.

    Malgré ces facteurs inquiétants, le luxe semble avoir de belles perspectives sur le long terme,grâce à des réservoirs de croissance comme par exemple les marchés des puissancesémergentes (les BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine) : le luxe réalise 20 à 30% de son chiffred’affaires en Asie Pacifique. Ses  produits emblématiques permettent de s’évader des soucisdu quotidien et restent un « symbole de stabilité et d’espoir  »35.

    2)  La nouvelle clientèle du luxe

    Vincent Grégoire, consultant en stratégie pour l’agence de prospective NellyRodi disait « Leluxe est passé d’une offre générique à des réponses particulières. Auparavant réservé à une

    élite, le luxe est désormais confronté à un univers populaire en pleine émancipation. Onassiste à une fusion entre la culture de la rue et la culture des salons. Le luxe est sommé deréagir. »

    La clientèle du luxe a beaucoup évolué au cours de ces 20 dernières années : massification,démocratisation, mondialisation… Le luxe doit désormais satisfaire une clientèle de plus en

     plus diversifiée, mais aussi de plus en plus renseignée, volage, exigeante, égoïste, mobile…Les manières de consommer le luxe ont changé : de marqueur social, le luxe est devenu unmarqueur d’identité, une manière de mettre en avant son bon goût et sa connaissance très

     prisée de ce milieu. Adieu le total look, le « luxe bling-bling », aujourd’hui le luxe se veutdiscret, réservé aux connaisseurs, preuve de valeur humaine.

    34http://www.challenges.fr/luxe/20131028.CHA6234/la-croissance-du-marche-du-luxe-ralentit.html

    35  LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Evolutions, actualités et perspectives d’un modèle français,Ed. France-Empire Monde, 2011, « Crise : le luxe ploie sans rompre et rebondit vers la croissance », p.163, l.12-13 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    26/172

    26 

    Les marques se sont élargies et diversifiées pour faire face à cette demande multiple : on faitaujourd’hui face à  un phénomène de « brand stretching36 ». Les marques n’hésitent plus às’aventurer en dehors de leurs univers pour se réinventer  : par exemple, Pernod Absinthe acréé un coffret événementiel en partenariat avec Maison Kitsuné, marque beaucoup plusmoderne et conceptuelle, pour relancer son alcool à la fois historique et controversé. 37  Lescodes s’hybrident, les univers se mélangent. 

    Si le désir de luxe est universel, le luxe est également culturel : développé internationalement,mais décliné localement dans une logique « Think global, act local »38, il dépend cependantd’un certain « relativisme culturel 39» : l’assortiment des points de vente de la maison Hermès

     par exemple est laissé à l’appréciation des directeurs de boutiques, car on observe que selon

    les aires géographiques, les consommateurs ne se dirigent pas nécessairement vers les mêmes produits.

    Selon le cabinet Bain & Company, il existerait à l’heure actuelle 7 catégories de

    consommateurs :

    -  Les « omnivores » : représentant 25% des dépenses, cette catégorie est constituéeessentiellement de jeunes femmes

    -  Les « avisés » : représentant 20% des dépenses, cette catégorie très informée etexigeante se distingue par sa présence online

    -  Les « investisseurs » : représentant 13% des dépenses, ils s’intéressent en particulier àla qualité et la longévité des produits

    -  Les « hédonistes » : représentant 12% des dépenses, ils considèrent encore le luxe

    comme un achat plaisir et attachent une grande importance aux apparences-  Les « conservateurs » : représentant 16% des dépenses, cette catégorie est composée

    d’une clientèle plus âgée aux goûts plus classiques -  Les « désillusionnés » : représentant 5% des dépenses, ils font preuve de distance et de

    scepticisme vis à vis des produits de luxe, et se dirigent plutôt vers les « bonnesaffaires » et la vente en ligne

    -  Les « aspirants » : représentant 5% des dépenses, ils ne consomment des produits deluxe que très occasionnellement, et font preuve d’une grande infidélité40 

    3)  Le luxe vers de nouvelles frontières

    Pierre Cornette de Saint-Cyr, célèbre commissaire-priseur, disait « On ne peut rester localsous peine de disparaître ».41 La mondialisation, processus en réalité ancien, a accéléré ces

    36 « Principe selon lequel une marque utilise son nom pour lancer un nouveau produit dans une nouvelle

    catégorie. Il pourra ainsi profiter de la notoriété ainsi que de l'image de qualité associées à la marque »(Source : http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/brand-stretching/)37 

     http://www.infosbar.com/Maison-Kitsune-x-Pernod-Absinthe_a6141.html38 

     LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Ed. France-Empire Monde, 2011, « Les clientèles du luxe », p. 186, l.15  39

     LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Ed. France-Empire Monde, 2011, « Les clientèles du luxe »,

     p. 188, l.9 40 

     DURAND, S., « Luxe, le changement d’aire » in Formes de Luxe, Le magazine de l’emballage d e luxe, n°100,Mai 2014, Retrospective – Prospective

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    27/172

    27 

    dernières années, représentant à la fois une opportunité et une menace pour le luxe. Si l’Orienta toujours été une source d’inspiration pour le luxe, les marques essayent aujourd’hui de se

    développer à l’international : Europe, Etats-Unis, Japon, Moyen-Orient enrichi par les chocs pétroliers, et désormais les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) sont autant de marchés potentiels pour les industries du luxe.

    Les pays qui consomment le plus de luxe sont :

    -  les Etats-Unis, avec 90 millions de consommateurs, à hauteur de 400€ de dépenses partête

    -  l’Europe, avec 80 millions de consommateurs, à hauteur de 450€ de dépenses par tête -  la Chine, avec 50 millions de consommateurs, à hauteur de 1250€ de dépenses par tête  -  le Japon, avec 50 millions de consommateurs, à hauteur de 800€ de dépenses par tête  -  l’Amérique du Sud avec 20 millions de consommateurs, à hauteur de 500€ de

    dépenses par tête-

      et enfin le Moyen-Orient, avec 10 millions de consommateurs, à hauteur de 1400€ partête.On voit bien aujourd’hui que même si le nombre de consommateurs est plus important dans

    les pays développés, les consommateurs sont prêts à dépenser plus d’argent pour du luxe auMoyen-Orient et en Chine. 42 

    Les BRIC constituent aujourd’hui d’importants relais de croissance  : ce sont tous les 4 des pays vastes et très peuplés, des « géants 43» qui constituent des marchés potentiels importants.D’autre part, comme le montre l’évolution de leur PIB, leur économie est florissante, et même

    si la richesse est majoritairement détenue par une élite, la classe moyenne se développe et

    aspire à consommer du luxe afin d’affirmer son nouveau statut social. Par exemple, le Brésilest aujourd’hui le 3e plus grand consommateur de produits de beauté au monde derrière lesEtats Unis et le Japon.44  Le luxe représente pour eux un désir d’ouverture, un moyen des’approprier les valeurs occidentales : par exemple, de nombreux riches Russes possèdent desmaisons de vacances sur la Côte d’Azur, et comment ne pas citer les milliers de touristes

    chinois qui arpentent chaque jour les rues de Paris ?

    41 LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Ed. France-Empire Monde, 2011, « Le luxe s’est lancé à la

    conquête du monde », p. 171, l. 3-4 42 

     DURAND, S., « La structuration des acteurs » in Formes de Luxe, Le magazine de l’emballage de luxe, n°100,Mai 2014, p. 16-17  43

     LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Ed. France-Empire Monde, 2011, « Le luxe s’est lancé à laconquête du monde », p. 172, l.25  44

     44

     DURAND, S., « La structuration des acteurs » in Formes de Luxe, Le magazine de l’emballage de luxe,n°100, Mai 2014, p. 20

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    28/172

    28 

    Figure 10: Evolution des PIB entre 1993 et 2013, source: FMI, extrait de Formes de Luxe, n°100/Mai 2014

    Il existe encore dans ces pays de nombreux clivages qui influent sur la manière de consommerdu luxe: le premier est un clivage générationnel : la jeune génération préfère un luxe plusostentatoire, mode et technologie, tandis que la génération plus âgée et traditionnelle préfèreun luxe plus discret et qualitatif. Il existe également de nombreux clivages entre les classessociales, l’exemple le plus grave étant celui des « castes » en Inde : malgré les efforts dugouvernement pour promouvoir un modèle méritocratique et l’égalité des chances, le système

    des castes reste ancré dans les mœurs. Un autre clivage est géographique : si les capitales, etcertaines grandes agglomérations se développent rapidement, les régions rurales restent à lamarge. Il en va de même à l’intérieur des villes  : divisées en quartier, les zonesoccidentalisées et touristiques se développent vite et bénéficient de l’implantation du luxe

    européen, tandis que les quartiers les plus pauvres restent à la marge. De plus, les paysémergents souffrent encore d’un risque d’instabilité sociale, lié à des problèmes récurrents

    comme la contrefaçon, les revendications sociales, la corruption, les problèmes religieux, lesmarchés parallèles, une administration peu rigoureuse…

    Si ces pays présentent de nombreuses similitudes, ils doivent pourtant bénéficier d’approches

    « cohérentes mais différenciées »45. Le Moyen-Orient par exemple, est un marché très porteur pour le luxe mais qui possède de nombreuses particularités culturelles qui doivent être prisesen compte pour pouvoir s’implanter dans ces pays : sous couvert de conservatisme religieux,ils sont en réalité de grands consommateurs de voitures de sport, lingerie fine, et bijoux, etdoivent être traités avec les plus grandes précautions. La formation des vendeurs est trèsimportante pour leur apprendre à décoder les coutumes et les tabous de ces populations. Il fautégalement s’adapter à leurs traditions : prévoir une salle de prière dans les boutiques, adapter

    45  LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Ed. France-Empire Monde, 2011, « Le luxe s’est lancé à la

    conquête du monde », p. 181, l. 14-15  

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    29/172

    29 

    les horaires d’ouverture en période de Ramadan, et même se déplacer pour aller présenter les

     produits dans un cadre privé.46 

    C’est dans ce but que de plus en plus de marques de luxe ont recours au CRM  : le CustomRelationship Management, un outil qui permet de prendre en compte les spécificités du

    consommateur afin de lui offrir une prise en charge personnalisée et de permettre unemeilleure fidélisation et différenciation. 47 

    Se développer à l’international est une opportunité et un défi pour les marques : s’il faut restertoujours cohérent à l’ADN de marque, il est aussi indispensable de savoir s’adapter aux

    spécificités culturelles, et respecter les contradictions de ces sociétés en pleine évolution :entre modernité et tradition, ambition et interdépendance, frugalité et richesse, réussite etmodestie, l’économie de ces pays se développe très rapidement, et avec elle la classe

    moyenne qui constituera les consommateurs du luxe de demain.

    4)  Les nouvelles valeurs du luxe : luxe et éthique

    Bernard Arnault disait « La protection de l’environnement n’est pas uniquement générosité ou philanthropie. Elle est pour préparer l’avenir une nécessité, pour les entreprises un facteur

    nouveau de progrès et de compétitivité, pour la société une preuve tangible de liberté et demodernité »48.

    Plus qu’une mode, le développement durable est devenu une nouvelle préoccupation politique

    et un nouvel axe de communication pour les marques. C’est une véritable prise de conscience

    qui fait écho à des problématiques de transmission, de fragilité de la nature, de pollution

    atmosphérique, d’accumulation des déchets, de pillage des forêts et des océans, enfin toutsimplement d’excès et de démesure. 

    L’intérêt pour les marques est de donner une image positive à des consommateurs de plus en plus concernés par ce genre de problématiques, mais aussi de respecter ou d’anticiper

    certaines contraintes légales49.

    Cela fait maintenant plusieurs années que certaines marques n’hésitent pas à prendre des

    mesures concrètes pour améliorer le respect de l’environnement et de ses populations  :Bulgari par exemple, a créé une bague en argent et céramique dont un pourcentage des ventes

    est reversé à l’association « Save the Children 50

    ». Cette association est notamment intervenueà la suite de l’ouragan en Haïti. De Beers et de nombreux autres joailliers agissent en outre

     pour mieux contrôler la provenance et les conditions de production des matériaux utilisés,notamment les diamants, et l’or, avec la création du processus de Kimberley, aujourd’hui

    46  LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Ed. France-Empire Monde, 2011, « Le luxe s’est lancé à la

    conquête du monde », p. 178-179 47 

     LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Ed. France-Empire Monde, 2011, « Le luxe s’est lancé à laconquête du monde », p. 181-182  48 

     Site internet du groupe LVMH, janvier 200649  LE BAIL, S., Le Luxe entre « business et culture », Paris, France Empire, 2011, « Le luxe éthique : unetendance durable », p.214, l. 24-2950 

     http://fr.bulgari.com/department.jsp?cat=cat10130032

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    30/172

    30 

    ratifié par une cinquantaine d’Etats51, et du  Responsible Jewellery Council , dont fontaujourd’hui partie les plus grandes marques de joaillerie (Tiffany, Piaget, Van Cleef &

    Arpels, Boucheron, Cartier…). Cartier est également partenaire d’une mine de commerceéquitable au Honduras qui fait aujourd’hui figure d’exemple. 

    Muzo International est l’un des exemples les plus aboutis  : cette petite entreprise suisse possède une mine en Colombie qui a trois règles d’or  : la sécurité et une situation régularisée pour les mineurs, mais aussi de meilleures conditions de vie pour eux et leurs familles, tout enassurant la certification et la traçabilité des pierres produites52.

    Les consommateurs se posent de plus en plus de questions sur les conditions de production eten particulier le traitement de la main d’œuvre dans les usines, en particulier avec les

     problématiques de délocalisation. Si certaines marques assument pleinement leur production àl’étranger (Coach), on se souvient de scandales comme celui des usines Nike.

    Un autre grand enjeu de plus en plus défendu par les marques est l’écologie et notamment lalutte contre l’émission de gaz à effet de serre. Jaeger -LeCoultre par exemple, a essayé deréduire son empreinte carbone et ses émissions de CO2. Dans le domaine de l’hôtellerie, c’estLe Fouquet’s Barrière qui bénéficie d’une triple certification  : ISO 14001 (pour sonengagement environnemental), ISO 9001 (pour sa qualité de service) et SA 8000 (pour sonrespect des droits de l’homme)  : en proposant des limousines hybrides et des bouteilles dechampagne dont la masse de verre a été réduite de 30%53, Le Fouquet’s montre qu’il est

     possible de concilier luxe et écologie, on parle même aujourd’hui d’ « écoluxe » ou de « luxeresponsable ».

    C’est aujourd’hui les ressources qui sont au cœur des préoccupations : si pour les cosmétiqueset la mode on privilégie les matériaux naturels tels que le cachemire, le coton ou les huilesessentielles, l’automobile essaye de se réinventer sans les énergies fossiles, avec par exempleTesla, marque de voitures de luxe entièrement électriques.

    Le marché des cosmétiques bio et naturels est passé de presque 0 en 199à à 9,4 milliards dedollars en 2012 selon Amarjit Sahota, directeur d’Organic Monitor . Selon lui, le marché descosmétiques bio et naturels devrait se développer dans les années à venir mais doit encorefaire face à plusieurs défis : tout d’abord, il n’existe à l’heure actuelle pas de certification

    harmonisée dans les régions concernées par ce marché, de plus, de nombreuses entreprisessont accusées de se tourner vers cette tendances dans un but de « greenwashing 54 », enfin ce

    51 http://magazine.inedit-joaillier.fr/2012/01/18/la-charte-de-kimberley/

    52   LE BAIL, S., Le Luxe entre « business et culture », Paris, France Empire, 2011, « Le luxe éthique : une

    tendance durable », p.213, l. 12-2953

      LE BAIL, S., Le Luxe entre « business et culture », Paris, France Empire, 2011, « Le luxe éthique : unetendance durable », p.213, l. 1-1154

     « Le greenwashing, ou écoblanchiment, est une pratique commerciale qui consiste à utiliser des arguments

    environnementaux souvent trompeurs pour vendre des produits qui ne sont pas, la plupart du temps, si verts. »(Source : http://www.futura-sciences.com/magazines/environnement/infos/dico/d/developpement-durable-greenwashing-6026/) 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    31/172

    31 

    marché souffre encore aujourd’hui d’une mauvaise compréhension de la part du

    consommateur.55 

    On observe également en gastronomie une transition vers le bio et le local. Malheureusement,la qualité des produits issus du commerce équitable reste en général trop irrégulière pour

     permettre la fabrication de produits de luxe selon Jean-Noël Kapferer, économiste etspécialiste du luxe56. Si les marques de luxe peuvent être écologiques, il leur est difficiled’être économes, car la générosité et la préciosité des produits restent des dimensionsessentielles aux marques de luxe. De plus, il est aujourd’hui inconcevable de faire l’impasse

    sur l’emballage, même s’il finira rapidement par s’entasser sur les milliards de tonnes de

    déchets à l’échelle mondiale. 

    Le luxe, souvent accusé d’inutilité et de superficialité, est en réalité durable par essence, car il

    véhicule des valeurs de qualité, de pérennité, de transmission, d’histoire ou encore d’héritage.  

    Les marques ne peuvent plus aujourd’hui se contenter de produire sans réfléchir auxconséquences : les consommateurs sont de plus en plus informés, et le non-respect des droitsde l’homme ou de  l’environnement est devenu pour lui impardonnable. La marque se doitdonc de préserver son excellence historique, tout en prenant en compte les nouvelles

     problématiques du XXIe siècle.

    C)  Un secteur aux multiples facettes

    Le luxe a du se réinventer ces dernières années. Toutes les industries du secteur ont ressentices secousses, avec plus ou moins d’intensité. Christian Blanckaert dans « Les 100 Mots du

    Luxe », parle des « étoiles » qui gravitent autour du luxe57

    . Secteurs historiques, ou nouveauxsecteurs répondant à une diversification indispensable face à une demande changeante, le luxeest à l’image de cette variété d’industries : pluriel, ambivalent, au croisement entre tradition etévolution, histoire et modernité.

    1)   L’hôtellerie 

    William Shakespeare disait « Petite chère et grand accueil font joyeux festin ». Ainsi l’accueilest une dimension essentielle à la notion de luxe : l’hôtellerie de luxe est l’une desexpériences les plus immersives dans cet univers.

    L’hôtellerie comporte toutes les dimensions du luxe : une dimension artisanale, la qualité deservice, mais aussi une dimension internationale avec une invitation au voyage et à ladécouverte. L’hospitalité est une valeur inhérente au secteur de l’hôtellerie de luxe. Elle peutêtre à la fois tangible et mesurable, grâce à un ensemble de mesures de notation etd’appréciation  : une chambre de luxe par exemple doit faire au minimum 45m2, comporterune belle vue et des textiles de grande qualité, mais aussi intangible : elle dépend aussi de la

    55  DURAND, S., « La structuration des acteurs » in Formes de Luxe, Le magazine de l’emballage de luxe, n°100,

    Mai 2014, p. 2456   LE BAIL, S., Le Luxe entre « business et culture », Paris, France Empire, 2011, « Le luxe éthique : unetendance durable », p.216, l. 5-10  57

    BLANCKAERT, C., Les 100 mots du Luxe, Paris, P.U.F. « Que sais-je ? » 2010, p. 7, l. 13-14 

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    32/172

    32 

    qualité du service, de l’attention des employés, de la stabilité et de la durée de l’établissement,

    du ressenti du client…58 

    Le label « palace » créé par le Secrétariat d’Etat au Tourisme en 2010 et le système des étoiles permettent également de « mesurer » l’hospitalité d’un établissement. Provenant du mot

    anglais « palace » qui désigne un établissement commercial de grande taille, de bon goût et degrand luxe, le terme est utilisé dès 1884 aux Etats-Unis pour désigner un hôtel de luxe. EnFrance, c’est « L’Elysée Palace Hotel » qui, en 1898, ouvre la voie à ce terme, aujourd’huilabellisé, mais qui reste souvent utilisé de manière abusive. Ce label n’est en réalité attribué

    qu’à certains hôtels 5 étoiles par un jury très sélectif et selon une longue liste de critères59.

    Un hôtel de luxe se différencie par son sens de la fidélisation : le soin apporté aux détails, lamémorisation des préférences des clients, une prise en charge personnalisée… tous ces

    éléments influent fortement sur l’image de l’hôtel et expliquent pourquoi certains clients privilégiés reviennent régulièrement et pourquoi ils peuvent recommander l’établissement à

    d’autres clients potentiels. 60 

    Il existe un lien indéfectible entre l’hôtellerie de luxe et la ga stronomie : César Ritz a initiécette tradition grâce à la présence d’Auguste Escoffier, célèbre chef de son temps, dans le

    restaurant de son hôtel londonien : l’Hôtel Savoy. Cette évolution était indispensable afin desatisfaire les palais exigeants des clients de l’hôtel. Aujourd’hui, la plupart des restaurants deshôtels de luxe affichent au moins une étoile au guide Michelin, certains hôtels vont même

     plus loin en choisissant des chefs de plus en plus prestigieux et talentueux, comme parexemple le Plaza Athénée avec Alain Ducasse, chef triplement étoilé.

    Le label « Relais & Châteaux » démontre également la proximité de ces deux univers : crééen 1954, il est composé d’hôtels et de restaurants qui partagent tous l’art de bien recevoir. Les

    critères pour faire partie de ce réseau sont : un service d’excellence, une prestation de luxe, etune cuisine de terroir. 61 

    2)   La gastronomie

    Le « repas gastronomique des français » appartient au patrimoine immatériel de l’humanité del’UNESCO depuis 201262, à la fois en tant que style de vie, pratique et même rituel, ce quimontre bien l’influence de l’art du repas à la française à travers le monde. Le « Club des

    Cent », plus prestigieux club gastronomique de France créé en 1912, mais aussi le fameuxGuide Michelin, et ses 150 restaurants étoilés en France, sont autant de preuves durayonnement de la gastronomie française dans le monde, incarnée par des noms mythiquestels que Paul Bocuse, Yannick Alléno (qui a même créé un label « Terroir Parisien » pour

    58  CHEVALIER, M., MAZZALOVO, G., Management et Marketing du Luxe, Paris, Dunod, 2 

    e édition 2011, «Le

    monde des hôtels et de l’hospitalité », p.126 -12859

    http://www.parisinfo.com/ou-dormir/infos/guides/les-palaces-parisiens/Le-label-Palace-d%C3%A9cryptage/Le-label-Palace-d%C3%A9cryptage 60 

     CHEVALIER, M., MAZZALOVO, G., Management et Marketing du Luxe, Paris, Dunod, 2 e édition 2011, «Le

    monde des hôtels et de l’hospitalité », p.127, l.13-2061

    http://www.relaischateaux.com/spip.php?lang=fr&ong=art_generic&page=about&id_rubrique=16&id_article=17962 

     http://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/00437

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    33/172

    33 

     protéger la cuisine traditionnelle française), ou encore Joël Robuchon, dont les platsmythiques s’exportent à travers le monde avec l’enseignement de ces chefs de légende.

    Par ailleurs, le Comité Colbert a accueilli parmi ses membres en 2013 le chef Alain Ducasseau Plazza Athénée, le Restaurant Guy Savoy Paris et l’Atelier de Joël Robuchon Etoile. C’est

    la preuve que ces chefs français participent à accomplir l’objectif principal du Comité

    Colbert : faire rayonner le luxe français, et plus particulièrement le goût français, à travers lemonde.63 

    Stéphanie Le Bail donne une définition de la gastronomie : « fait de se nourrir pour le plaisiren alliant harmonieusement et de manière inventive les meilleurs produits »64. C’est donc le

     plaisir, mais aussi la création et les aliments eux-mêmes qui sont essentiels à la notion degastronomie. Les évolutions de la gastronomie montrent bien une oscillation constante entresophistication et simplicité.

    La cuisine française et internationale que nous connaissons aujourd’hui est le fruit d’une séried’évolutions qui s’échelonnent sur plusieurs époques.

    Claude Lévi-Strauss compare l’opposition entre le cru et le cuit avec l’opposition entre le vêtuet le nu65qui sont deux fondements de différenciation du luxe. Cette rupture dans le mondeféodal peut être considérée comme la première évolution de l’histoire vers une gastronomie

    « moderne ».

    Mais l’une des premières évolutions qui viennent à l’esprit est naturellement la m ondialisationdes aliments : c’est elle en réalité qui est à l’origine de la gastronomie « traditionnelle » que

    nous connaissons aujourd’hui, avec l’importation de produits qui nous paraissent maintenant banals tels que la pomme de terre ou encore le chocolat ou le café. La gastronomie actuelleévolue également grâce à une meilleure accessibilité des aliments et l’influence des cuisinesexotiques (nouvelles méthodes de cuisson, wok, sucré-salé) qui a inspiré par exemple lacréation de la « cuisine fusion » à New York, une cuisine gastronomique qui allie les saveursde plusieurs origines ethniques.

    L’évolution va également dans le sens d’une diminution graduelle des quantités  : des orgiesromaines et autres festins moyenâgeux à la « Nouvelle Cuisine » initiée par Henri Gault etChristian Millau, le nombre de plats a été divisé par deux, on est passés du service à la

    française, où tous les plats sont servis en même temps, au service à la russe, où les plats sesuccèdent dans un ordre logique et la nourriture se veut plus saine et plus légère : c’estl’esthétique et la créativité qui ont pris le pas sur la quantité. Cette évolution est même allée

     plus loin avec l’invention dans les années 1980 de la cuisine moléculaire par Hervé This,

     physico-chimiste français, et Nicholas Kurti, physicien anglais et mise en œuvre par les chefsPierre Gagnaire, Thierry Marx, Denis Martin ou encore Marc Veyrat.66 

    63 Rapport du Comité Colbert, 2013, « Nouveaux membres », p. 22

    64 LE BAIL, S., Le luxe entre « business » et culture, Evolution s, actualités et perspectives d’un modèle français,

    Ed. France-Empire Monde, 2011, page 43, l. 9-11 65

    LEVI-STRAUSS C., Mythologiques, t. I : Le Cru et le Cuit, Paris, Plon, 1964 

    66 http://fr.wikipedia.org/wiki/Gastronomie_mol%C3%A9culaire

  • 8/17/2019 Memoire Przybyla Kim Mta1odk3ndg1lja0

    34/172

    34 

    La qualité des produits, leur fraîcheur et leur provenance sont aujourd’hui au cœur des

     préoccupations. Après la sophistication extrême des années 1980, c’est désormais lasimplicité qui prime, à condition que les produits soient sains et de qualité, dans unedémarche de lutte contre la « malbouffe », les maladies liées à l’alimentation, et les dériveséconomiques et écologiques de la grande distribution. C’est aujourd’hui les régimes qui sont àla mode, tels que le régime crétois, riche en antioxydants, ou, dernier du genre, le régime sansgluten, bannissant tous les produits fabriqués industriellement comme le pain et les pâtes. Denombreux chefs privilégient aujourd’hui les produits locaux et saisonniers, et le marché

    revient au centre de la cuisine, avec l’apparition de maraîchers de luxe tels que le japonais

    Asafumi Yamashita67, qui ne donne que ses produits rares et précieux qu’à quelques chefstriés sur le volet. Cette évolution se traduit aussi par un certain chauvinisme dans le secteur duvin : à côté des vins californiens ou argentins, goûteux mais produits en série, les Français

     préfèrent des vins produits dans l’hexagone,  plus subtils et qui respectent des techniquesancestrales. En outre, le « snobisme de l’étiquette » a laissé place à une recherche de goût et

    de qualité, et même si les Grands Crus ne sont pas délaissés pour autant, les vins bios et les petits producteurs indépendants ont leurs adeptes.

    Ces dernières années, et principalement pour des raisons logistiques (logements plus petits, pas vraiment de salle à manger), les invitations deviennent de plus en plus informelles : durepas à la table, on est passés à des apéritifs dinatoires, mais on cherche toujours à créerl’événement, en particulier grâce à la décoration : l’art de la table est aujourd’hui plus que

     jamais en plein « boum » avec des ustensiles et des contenants de plus en plusvariés (baguettes, verrines, assiettes carrées…) 

    Toutes ces évolutions montrent que la gastronomie moderne est « un luxe humaniste qui faitappel aux 5 sens »68 et véhicule des valeurs de partage, de convivialité, et de générosité.

    3)  Les vins et spiritueux

    Le marché des vins et spiritueux est le plus gros marché du luxe. Il représente à lui seul plusde 30 milliards d’euros, sans compter le marché des vins fins, et constitue également

    l’exception  : ce sont les seuls produits de luxe à être distribués dans deux circuits distinctscorrespondant à deux occasions de consommation : la